Bienvenue sur cette série d’interviews dédiées aux professionnels du tourisme durable en province Sud. À travers des rencontres, découvrez les défis auxquels font face les entrepreneurs du tourisme ainsi que leurs histoires et anecdotes autour de leur activité.
Retrouvez le podcast et la vidéo de Jean Christophe dans la rubrique RETOURS DE TERRAIN de la boîte à outils : ICI
Pour cette première rencontre, direction les Boucles de Tina pour rencontrer Jean-Christophe Damond, le gérant de Tina Bikes et de Sud Loisirs. Jean-Christophe est un passionné de tourisme et il met l’humain et la relation client au centre de son métier. Amoureux des sports de nature, il a décidé de créer deux types de prestations pour les amoureux du coup de pédale : Tina Bikes pour les plus sportifs et Sud Loisirs pour ceux qui veulent découvrir le Parc de la Rivière Bleue plus tranquillement en VTT ou en kayak.
Bonjour Jean-Christophe et merci de nous accueillir à Tina Bikes. Pour débuter notre échange, peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?
Bonjour, je suis très heureux de vous accueillir aux Boucles de Tina ! J’ai un parcours assez atypique. J’ai commencé par passer un BAC scientifique en 1995 avant de partir en métropole pour suivre des études en STAPS. Puis, j’ai fait deux années de formation complémentaire, spécialisée dans le tourisme. Parallèlement, j’ai commencé à travailler dans l’organisation de prestations touristiques, notamment dans une association qui faisait des voyages d’étude d’histoire de l’art. Assez loin de mon domaine sportif mais j’ai acquis l’aspect « technique » dans la conception de produits touristiques. J’ai passé deux ans à faire ça, puis je suis revenu sur le territoire.
J’ai commencé par travailler aux Chutes de la Madeleine et au camping de la Netcha. C’était un vrai bol d’air de travailler dans ce cadre naturel et c’est à partir de là que je me suis engagé davantage dans ce type d’activité « outdoor », comme guide touristique et sportif sur les randonnées kayak, pédestres mais aussi en 4x4 à la journée avec les croisiéristes. J’ai aussi fait de la formation professionnelle en province Nord : j’accompagnais les professionnels sur des questions d’ordre général, en communication, bureautique, initiation informatique, création de produits touristiques… Enfin, j’ai décidé de me mettre à mon compte en 2010 avec Sud Loisirs.
- Tu es donc le gérant de Sud Loisirs, une entreprise qui propose des activités outdoor. Quelle est l’histoire de Sud Loisirs depuis sa création à aujourd’hui ?
J’ai repris une activité qui existait déjà depuis cinq ans. Le gérant de l’époque avait une autre activité qui l’occupait la semaine et il ne se consacrait à celle-ci que le week-end… Je vous laisse imaginer son rythme ! Il en a eu marre et c’est à ce moment que je me suis lancé dans l’entrepreneuriat. J’ai donc repris l’activité de location de kayak et j’ai développé l’offre de prestation. Je m’y suis consacré à plein temps avec une ouverture en semaine. Au fur et à mesure, j’ai pu ouvrir sans que ce soit sur demande. J’ai commencé à combiner la location VTT avec de la location de kayak, m’amenant ainsi à créer des itinéraires et toute la logistique qui va avec.
Tina Bikes est une aventure plus récente, que j’ai commencé il y a près de cinq ans. J’avais alors entamé les démarches auprès de la province Sud pour savoir si nous pouvions envisager une activité au niveau des Boucles de Tina. Il y avait des pistes, des choses en développement mais aucune prestation possible. Finalement, le projet ne s’est vraiment concrétisé qu’en 2021.
- Quelles démarches as-tu entrepris pour monter ton entreprise ?
Comme c’est une structure qui existait déjà, j’ai surtout dû gérer la partie création de la SARL à mon nom. Je n’étais pas formé sur la partie administrative et juridique donc j’ai passé beaucoup de temps à me documenter en ligne et à la CCI. Pour autant, je me suis surtout fait accompagner par des professionnels sur ces démarches, un juriste et un comptable. Chacun son métier !
De temps en temps, j’ai des projets qui me viennent. J’ai essayé de monter un projet au Parc des Grandes Fougères mais ça n’a pas pris. Ça fait partie des essais qu’on peut lancer quand on est entrepreneur mais qui ne fonctionnent pas à tous les coups ! C’est comme ça, il ne faut pas abandonner pour autant.
- Quels freins as-tu rencontré et quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite en faire de même ?
Je n’ai pas rencontré de freins trop importants puisque la structure existait déjà et que sa création avait été encouragée par la direction du Parc qui cherchait à dynamiser l’endroit. Le gros frein que j’ai pu rencontrer est d’ordre bancaire, notamment quand j’ai dû acheter un véhicule. On n’y pense pas forcément mais c’est une part du budget que j’ai dû financer sur fonds propres.
De plus, pour le moment, nous n’arrivons pas à être à l’équilibre comptable à Tina Bikes. On arrive à contrebalancer grâce à Sud Loisirs mais je trouve que nous ne sommes pas assez encouragés à ce niveau…
- Peux-tu nous présenter ton offre de services et nous expliquer à qui elle s’adresse ? As-tu plutôt des clients locaux ou internationaux ? As-tu vu une évolution dans le public que tu rencontres à Sud Loisirs ?
Nous proposons de la location de VTT et de kayak à la Rivière Bleue, avec des propositions de parcours et de bivouac. Pour Tina Bikes, on est sur de la location de vélo aussi et des petites réparations s’il le faut. Mais c’est vraiment à la marge. Nous faisons aussi des cours pour les scolaires, le mercredi après-midi et pendant les vacances. Nous proposons aussi des stages de tous niveaux.
En fait, on a deux activités distinctes : à la Rivière Bleue on est sur une offre beaucoup plus touristique, qui s’adresse vraiment au grand public, que tu sois sportif ou non. Aux Boucles de Tina, on s’adresse à un public un peu plus sportif, des personnes qui veulent vraiment se confronter à de la difficulté physique et technique. Ici on est plus sur du sport-santé que sur de l’activité touristique.
Pour ce qui est de la fréquentation à la Rivière Bleue, je dirais qu’on est sur du 50-50 : moitié touristes locaux et moitié internationaux. Le week-end on a plus de clients locaux alors qu’en semaine, on est plus sur une clientèle internationale. Ça paraît logique ! En termes de fréquentation on est toujours sur les mêmes tendances que pré-COVID. D’ailleurs, l’évolution est un peu étrange : d’un côté on a eu une « surconsommation » pendant la période COVID parce que les Calédoniens sont revenus ; de l’autre, quand les frontières ont été réouvertes, les locaux sont repartis et les touristes ont commencé à revenir… Une sorte de « contre-coup » positif pour nous. Mais l’activité semble se tasser depuis trois mois avec l’effet saisonnier habituel.
- Tu as choisi de t’engager dans une démarche touristique durable. Qu’est-ce que cela signifie pour toi et comment cela se traduit-il dans ton activité ?
Les définitions du tourisme durable sont nombreuses et n’inclut pas que l’aspect nature. Je ne suis pas certain qu’il puisse exister un tourisme 100% durable. En revanche, il existe de vraies problématiques environnementales et sociales et qu’en tant que professionnel qui travaille dans un cadre extérieur, nous devons veiller à certaines règles. Cela va des petits gestes du quotidien, sur son lieu de travail mais aussi à la maison, qu’on doit partager et appliquer de manière collective.
Là où pour moi il y a une carte à jouer, c’est sur le côté apprentissage de la nature, qui passe par la découverte et la compréhension des problématiques environnementales. Un adage dit que plus on connait, plus on veut protéger. J’essaie d’instaurer cette intérêt dans ma relation avec le client, souvent de façon un peu étonnante pour marquer les esprits. Mais concrètement, tout le monde n’a pas la même sensibilité et c’est parfois difficile de faire passer les messages.
- À ton avis, quand un opérateur touristique adopte ce type de démarche, quels sont les écueils à éviter ?
J’ai suivi deux formations du PPAT sur la thématique. Je pense que quand on est entrepreneur, on se pose un peu la question de comment faire pour avoir une activité qui s’équilibre selon le principe du tourisme durable. En tant que chef d’entreprise, on doit se poser ces questions et essayer de voir où on peut facilement corriger quelque chose pour avoir un vrai impact.
D’un autre point de vue, je me dis que ce n’est pas uniquement à nous qu’incombe la tâche de corriger ces comportements quand on voit ce que les grosses industries peuvent faire et leur comportement aux conséquences totalement désastreuses... Pourtant, il faut participer au mouvement de prise de conscience, j’en suis persuadé…
Dans mon activité, cela s’est traduit par la mise en ligne d’une petite boutique pour porter secours aux personnes qui n’ont rien. Je vends des articles, qui ne sont pas forcément super éco-responsables mais qui vont servir à venir en aide à ceux qui en ont besoin. De plus, j’ai éliminé la vente de bouteille en plastique. C’est tout bête mais je filtre de l’eau pour remplir les gourdes des gens. Certes ce sont des petites actions mais c’est relativement facile à mettre en place immédiatement. Le reste viendra petit à petit.
- Est-ce que tu bénéficies d’un accompagnement de la province Sud et comment cette dernière t’accompagne-t-elle dans ton activité ?
J’ai failli solliciter plusieurs fois la province pour des subventions en financement mais je n’ai jamais vraiment passé le pas. À chaque fois, mes projets étaient plutôt en phase d’étude, de test donc je n’ai jamais transformé l’essai. En revanche, j’ai eu des aides financières pour les entreprises en perdition pendant la COVID-19 ! On attendrait aussi un peu d’aide quand les routes du Sud sont bloquées… Je ne l’ai jamais fait pour le moment car ça fait partie de l’aléatoire mais pour pas mal de professionnels dans le Sud, c’est assez pénible et les situations de blocage peuvent être très contraignantes pour nous.
Je pense que les subventions ou les aides doivent être demandées quand on en a vraiment besoin, quand on n’a pas le choix. On ne peut pas construire son modèle économique là-dessus et compter uniquement sur ces sources de financements.
Au niveau des autres types d’accompagnements, il y a les formations du PPAT. J’ai assisté à des formations sur l’environnement, sur le RGPD, sur le parcours idéal du touriste. J’ai adoré cette dernière car j’avais vraiment l’impression d’être sur la bonne voie. Le formateur nous a parlé de choses que je mettais déjà en place chez Sud Loisirs et Tina Bikes. Ça rassure l’air de rien. L’interaction humaine est la clé !
- Selon toi, quelles sont les qualités et les compétences essentiels pour proposer un service touristique de qualité ?
Ça tient vraiment aux qualités personnelles et humaines avec le client. Ça ne sert à rien de débiter un discours touristique de A à Z sans laisser place à l’interaction ou à l’imprévu. Il faut être sérieux, ne pas prendre les gens de haut ou pour des idiots. C’est un métier où il fait être polyvalent. On peut apprendre des compétences de base dans sa spécialité mais je pense qu’il faut avoir ce truc en plus, ce truc du service, du contact, d’implication, d’adaptation… Des qualités humaines que je valorise énormément.
Sans oublier le côté technique bien sûr. Mais ce n’est vraiment pas évident quand on est une petite structure de trouver ces personnes multi-compétences, avec la juste rémunération. On est sur des métiers qui ne sont pas toujours attractifs pour tout le monde et parfois c’est compliqué de trouver ces personnes. J’aimerais pouvoir avoir des personnes spécialisées, avec des expériences extérieures qui pourraient me challenger sur ma propre activité. Dans tous les cas, je dirais que l’une des principales qualité c’est d’être « aware », c’est-à-dire être alerte à ce qui se passe autour.
- Pour conclure, as-tu un petit mot à adresser à tes collègues professionnels du tourisme ?
Tant que nous ne sommes pas à la place de quelqu’un, dans son cadre professionnel, avec ses contraintes, c’est très difficile de « conseiller », donc je me garderais bien de le faire ! Dans tous les cas, je pense que les professionnels du tourisme doivent avoir des actions cohérentes. C’est bien d’avoir des objectifs à moyen terme et c’est là qu’il faut mettre en place les leviers pour y arriver.
Je ne parle pas que de financier mais aussi d’organisation, de qualité de travail. C’est dur en ce moment, ça se sent donc il faut garder des objectifs atteignables, poser des questions, demander de l’aide, des conseils et de faire la part des choses sur les réponses. Si elles viennent nous contrarier, c’est peut-être qu’il y a une chose à travailler et sur laquelle il va falloir prêter attention. Ne pas détourner le regard parce que ça nous embête et ne pas se décourager !