La Nouvelle-Calédonie a été marquée par leurs passages mais les livres d’Histoire ne leur rendent pas forcément hommage. Les contributions de ces nombreuses femmes ne doivent pas être oubliées.
Elles ont aussi forgé l’identité calédonienne.
Ce furent des femmes fortes, des femmes charismatiques, des femmes pionnières. Avec la contribution de l’Archivistorien Calédonien, la province Sud vous propose de découvrir 13 portraits de femmes remarquables. (Classement par ordre alphabétique)
Maximilienne Denise Tuband épouse à Nouméa Gérald Bray à la veille de la Grande Guerre, le 22 août 1914. Si Denise était préparée à être une bonne épouse, elle ne se doutait certainement pas que son mari l’embarquerait dans une grande aventure loin de la capitale, qui l’amènerait à dévoiler des grandes qualités de gestionnaire et d’organisatrice. Au début de leur mariage, le couple Bray habite à Nouméa, à l’angle entre la rue de l’Alma et la rue Georges Clémenceau, dans une maison proche de la Société La Havraise, société où travaille Gérald. Dans ces premiers temps, Denise met à bien ses talents en termes de confection de vêtements et fabrique des corsets pour les belles dames de la ville. Par la suite, un des amis de Gérald Bray, M. Garcia le débauche de la Société La Havraise et lui fait obtenir un nouvel emploi aux Messageries Automobiles, une société qui assurait à l’époque la liaison des passagers et le transport de courrier de Nouméa vers l’intérieur de la Nouvelle-Calédonie (la Brousse). Dans chaque village important existait un relais où l’autocar effectuait une halte. C’est ainsi qu’en 1930, Gérald et Denise Bray prennent en gérance l’Hôtel du Garage à Moindou qui appartenait alors aux Messageries Automobiles. Une fois arrivés, Gérald s’attaque à la construction d’une « pétrolette », avec l’aide de sa femme et de ses filles. Les habitants du village les plus moqueurs ironisent alors et le traitent de « bon à rien ». Contre mauvaise fortune bon cœur, lorsque la pétrolette est mise à l’eau, celle-ci navigue parfaitement, et a été renommée en « l’honneur » des moqueurs, « LESDIRE ». |
L’Hôtel du Garage, pris en gérance par Gérald et Denise Bray deviendra l’Hôtel Bray après que ceux-ci en soient devenus propriétaires. Denise Bray est partout : la qualité de sa table est réputée parmi les amateurs de fruits de mer et de bonne cuisine, tandis que c’est elle qui gère au quotidien l’organisation et la logistique de leur établissement.
Femme d’une incroyable vitalité, elle dirige un personnel nombreux pour orchestrer la bonne marche de sa maison qui vit presque en auto-suffisance : jardin, pêche, troupeau de chèvre, mais aussi « LESDIRE », la pétrolette de son époux qui permet de ravitailler l’hôtel en produit de la mer frais avec des langoustes, tortues et vaches marines ! (Leur pêche était autorisée à l’époque).
Durant la Seconde Guerre Mondiale, l’établissement sera fréquenté par les GI Américains, qui vont jusqu’à demander des réservations à l’aide de messages envoyés en parachute grâce à l’avion basé à Ouatom, c’est dire le succès de l’établissement.
C’est d’ailleurs l’occasion de parler de son rôle au cours du conflit. Si les Américains ont débarqué en mars 1942 en Nouvelle-Calédonie, Denise Bray se faisait remarquer dès 1939, comme nous l’indiquent Luc Chevalier et Jean-Claude-Féval dans leur ouvrage « Les armées en Nouvelle-Calédonie de 1853 à 1939 », en nous relatant l’épisode du moment de la mobilisation générale :
« […] Des véhicules de toutes sortes, cars, camions, camionnettes, voitures particulières venant de brousse et chargés de mobilisés s’arrêtaient devant les grilles et déversaient leur chargement humain sous les applaudissements de la foule.
Parmi ces voitures descendues de la Brousse, la camionnette de Madame BRAY, la première femme à avoir passé son permis de conduire automobile depuis des décennies… Elle arrivait de Moindou avec une dizaine d’hommes dans la petite benne.
Madame BRAY descendit de la voiture, déploya un grand drapeau tricolore. La Marseillaise reprise par des centaines et des centaines de voix émues s’acheva par des salves interminables d’applaudissements… »
Cet épisode nous en apprend beaucoup sur le caractère aventureux de Denise. Les femmes en Nouvelle-Calédonie n’étaient pas nombreuses à avoir obtenu le permis de conduire à cette époque. D’autres anecdotes abondent dans le même sens.
Ses talents de conduites ont été mis à contribution à bien d’autres reprises, et Denise Bray aura même fait du transport de passagers sur Téremba, La Foa, la tribu de Moméa et jusqu’à la tribu de Ouaoué (Bourail), et sur des véhicules de taille imposante pour l’époque, des camions Studebaker ou Dodge !
Mais ce n’est pas tout : ainsi du côté Fayard de la famille on nous explique qu’elle montait à cheval et faisait le tour de la propriété, ou encore qu’elle pilotait elle-même la fameuse pétrolette familiale. Elle profitait également de faire visiter aux gens de passage les champs de café cultivés sur la propriété Bray.
Toujours dans les anecdotes bien connues, Mme Bray aurait donné des cours de conduite à certains habitants de la commune, qui se rappellent encore de leurs premières leçons de conduite avec cette dame au caractère bien trempé !
Mais quelques années après la guerre malheureusement, le drame viendra frapper Denise Bray, lui enlevant son mari. Après la mort de Gérard en 1948, Denise Bray continuera d’être la figure de proue de l’hôtel, et tiendra l’établissement pendant plus de deux décennies, jusqu’en 1971, date où elle décèdera à son tour.
Durant les 23 années qui suivent elle gérera quasiment seule l’établissement, sauf dans ses dernières années où ses enfants et petits-enfants l’aideront de plus en plus à tenir la boutique, notamment Jacques et Marie-Josée Fayard, ses petits-enfants, mais aussi Yvonne Bray, sa fille, ainsi que son mari Robert Burck, enseignant dans la région.
Représentative de toute une génération de femmes de brousse pionnières, débrouillardes, mères de famille inspirantes, Denise Bray aura su rester dans les mémoires des habitants de la commune de Moindou et de ceux qui auront fréquenté l’Hôtel Bray.
Après 1971, l’Hôtel Bray sera encore tenu quelques années par le couple Burck, mais le destin viendra les frapper cruellement en 1976, en les emportant à la suite d’un accident de la route à Ouatom (La Foa).
Cette tragédie viendra marquer la fin pour un temps de l’Hôtel Bray, qui ne sera plus un établissement public mais restera une propriété familiale, de 1976 jusqu’en 2000, date à laquelle Marie-Josée Fayard décidera de reprendre l’héritage familial et redonner des couleurs à l’établissement, dans la droite lignée de l’établissement hôtelier que tenaient ses grands-parents Gérald et Denise Bray.
Aujourd’hui devenue l’Auberge Historique de Moindou, l’établissement accueille, comme à l’époque, les visiteurs de passages et les touristes curieux de la région.
De leurs 3 filles qui auront atteint l’âge adulte, Jeanne (1915 – 2013), Edmée (1916 – 1998), et Yvonne (1919 – 1976, sans postérité), la famille Bray-Tuband aura de nombreux petits-enfants et arrières petits-enfants aux noms parfois bien connus : Tournier, Streiff, Boyer, Giesecke, Fayard…
Sources :
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Originaire de Berne en Suisse, rien ne destinait en apparence Ida Stucki à venir s’installer en Nouvelle-Calédonie. Si ce n’est, peut-être, très tôt une forte fibre étudiante, voire scientifique : à une époque où les voyages étudiants ne sont pas si courants, Ida passera plusieurs années en Angleterre pour faire des études au cours des années 1930. Le couple Catala, René en tête en éclaireur, puis Ida Stucki en renfort sont venus fonder en Nouvelle-Calédonie l’Institut Français d’Outre-Mer (IFO), spécialisé dans les études de la riche biologie marine du Caillou avec ses lagons exceptionnels. Rappelons que l’IFO deviendra ensuite l’ORSTOM, puis l’actuel IRD. Le couple Catala marque donc d’une pierre blanche le milieu scientifique en Nouvelle-Calédonie en jetant les bases de la production scientifique Calédonienne institutionnalisée. |
C’est en collaboration étroite avec Ida Stucki qu’il étudie 7 années pour le compte de l’IFO l’écologie marine, entre 1947 et 1956. Ces travaux communs les amèneront à penser en profondeur leur future station de biologie, en choisissant de la construire sur le terrain du Rocher à la Voile. Cette station deviendra ensuite l’Aquarium de Nouméa.
Le couple Catala Stucki décide d’entreprendre une tournée de France et d’Europe afin de voir ce qui se fait en termes d’aquarium et utiliser l’expérience de ceux qui les ont précédés. Néanmoins, ils s’aperçurent que leur projet était novateur : ils voulaient faire un aquarium en circuit ouvert, ce qui n’existait tout simplement pas à l’époque.
Pour citer le Tome VI du Mémorial Calédonien qui parle de la grande aventure de l’Aquarium de Nouméa : « De retour à Nouméa, René Catala et son épouse se virent donc contraints d’innover et ce sont eux qui conçurent les plans de leur futur domaine, se contentant d’accepter l’offre généreuse de l’architecte Gabriel Cayrol qui dessina la façade du futur bâtiment ».
Ida Stucki n’hésite pas à faire partie des plongeurs qui récupèrent les premiers spécimens qui vont peupler l’Aquarium. Selon le Mémorial Calédonien on peut lire : « […] Au début les sources d’approvisionnement furent variées. Il y avait l’équipe des plongeurs maisons, dont les Mélanésiens Enoka et Couty, qui avaient travaillé à la construction de l’Aquarium. […] Avec eux plongeait Mme Catala – il avait bien fallu s’y mettre remarque-t-elle avec humour – et quelques amis fidèles qui avaient pour noms Merlet, Rolland, Anglès, etc… »
En fait, elle plongera très souvent, et parfois à des profondeurs importantes. En 1958, par exemple, pour récupérer les coraux type « fluos », (les verts, vers les 30 mètres de profondeurs, et les rouges, à parfois plus de 50 mètres de profondeur), elle fait partie des volontaires.
Au-delà de toute espérance, leur système d’aquarium en circuit ouvert leur permet de pérenniser la survie des espèces dont ils ont la garde… Des quelques mois de survie qu’ils espéraient obtenir au début, ils parviennent à prendre soin pendant plus de 21 ans certaines des espèces qu’ils avaient récupérées dans des bacs !
Bien que ce soit le docteur Catala qui le plus souvent récolte les lauriers (tout en associant toujours son épouse) et qu’il soit difficile de dissocier les avancées qu’ils ont permis de faire, leurs avancées communes permettent de faire évoluer de façon générale la culture et les connaissances scientifiques autour des espèces sous-marines : ils découvrent et mettent en avant les effets de fluorescence des coraux à partir de 1957, et, encouragés par leur ami Haroun Tazieff, le célèbre volcanologue, ils vont lancer le premier voyage en avion de coraux, afin de pouvoir amener des coraux calédoniens vivants dans les aquariums d’Europe en 1959 : c’est l’Opération Corail.
Enfin, ils récupèrent des « fossiles vivants », actuellement un des emblèmes du Caillou, des nautiles, et arrivent à les faire prospérer dans l’Aquarium en 1962, une espèce qu’il est alors impossible d’observer vivante ailleurs dans le monde !
Parmi certains travaux que l’on peut attribuer plus particulièrement à Ida Stucki, on peut évoquer ses études sur les algues calédoniennes, qui sont encore utilisées de façon contemporaine par les chercheurs et chercheuses d’aujourd’hui, notamment par l’héritier de l’IFO, l’IRD, mais aussi à l’international.
On peut également dire que son nom se retrouve dans la littérature scientifique anglo-saxonne, ainsi, c’est le cas avec la découverte en 1949 de la sous-espèce Dunckerocampus Chapmani [1], qui lui a été attribuée par Leonard Peter Schultz, un biologiste du Musée National des Etats-Unis en 1952.
En 2023, dans Oceans under Glass Tank Craft and the Sciences of the Sea, Samantha Muka, professeur assistant à l’Institut de Technologie du New Jersey se pose d’ailleurs la question de la différence de renommée en ces termes :
« Je me réfère à René et Ida en tant que René et Ida Catala-Stucki. Tandis que René publiait sous son nom propre, il insistait sur le fait que sa femme associe son nom au sien après le mariage. Ida était une partenaire intégrale dans le développement du bassin, et a travaillé de façon rapprochée et soutenue avec René pour créer l’Aquarium de Nouméa. Cependant, elle est rarement mentionnée dans son travail, et lorsqu’elle l’est, ce n’est qu’en tant que « ma femme ». Ida n’apparaît pas souvent dans la littérature à propos de l’aquarium [de Nouméa], mais dans une histoire de voyage par Anaïs Nin elle est mentionnée en tant que Dr. Catala Stucki, une « océanographe, scientifique et une plongeuse des profondeurs sous-marines » […] » [2]
Le Docteur René Catala a tout de même décidé de laisser une trace de la contribution scientifique de sa femme, comme il est courant de nommer une espèce par son découvreur, il est parvenu à faire nommer une sous-espèce de Labre (Pour resituer, le Napoléon est une sous-espèce de Labre, le Labre géant) en son honneur, ainsi on peut retrouver dans certains ouvrages scientifiques le Thalassoma Stuckiae (Labre-Oiseau Bigarré).
Bien que le Docteur Catala soit davantage mis en avant que sa femme, la fondation qu’il a créée pour la mise en place de l’Aquarium met bien en avant leurs deux noms : Fondation Catala-Stucki. Une mention omniprésente dans leurs correspondances et leurs communications publiques.
Ainsi parfois leurs deux noms sont mélangés non seulement pour Ida, mais aussi pour René, qui est parfois désigné comme Catala-Stucki. On retrouve aussi dans les interviews de l’époque ses témoignages qui mettent en avant son épouse : « Eh bien ! s’adaptant à tout, Stucki travailla avec moi à établir un rapport massif. C’est alors que je compris quelle intelligence et quel sens de la méthode elle pouvait déployer.
Mais notre idée nous hantait plus que jamais : créer un centre d’études corallienne. Nous n’avions ni argent, ni subsides, ni appuis officiels, rien que notre foi. Nous nous sommes, je puis le dire, privés de tout, pendant sept ans, pour économiser sou à sou et parvenir à bâtir, à trois kilomètres de Nouméa, au bord de la mer et avec nos seuls moyens personnels, le Centre, l’aquarium et notre maison. Stucki a dressé elle-même les plans de la maison et du jardin. D’ailleurs Stucki sait tout faire… même la cuisine ! […] »
L’Opération Corail en 1959, la récupération et la mise en bassin de nautiles vivants en 1962, mais aussi le livre (avec le film du même nom !) « Carnaval sous la mer » en 1964 (film sous-marin en couleur qui montre la diversité de la faune sous-marine en Nouvelle-Calédonie… pour donner du contexte, la télévision arrive sur le Caillou en 1965 !), auront des retentissements mondiaux. La Nouvelle-Calédonie, son lagon, ses espèces marines et son Aquarium à la pointe de la technologie font des émules sur toute la surface du globe.
Au-delà de ces moments forts bien connus, les époux Catala-Stucki ont continué leur veille et leur travail quotidien à l’Aquarium de Nouméa des années durant, jusqu’au début des années 1970. De fait, si c’était bien une passion, une vocation, c’était aussi une voie qui leur imposait d’être les gardiens et médecins de leurs espèces naturelles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
Mais quel résultat : les traces de la renommée qu’ils ont fait acquérir à la Nouvelle-Calédonie, à son lagon et à ses espèces marines est visible de bien des façons et montrent qu’ils ont un fait un travail exceptionnel de promoteurs pour l’Archipel Calédonien.
La Presse du monde entier a parlé de l’Aquarium de Nouméa, qui avec ses tuyaux qui amenaient l’eau de mer directement dans les bassins était une première mondiale, mais on trouve aussi dans les archives des Catala accessibles au Service des Archives de la Nouvelle-Calédonie (SANC) (38 J) des correspondances prestigieuses et internationales, par exemple de la part du Club des Explorateurs de New York ou encore de la Société Royale de Zoologie d’Anvers (qui avait accueilli les coraux calédoniens en 1959).
Le succès est au rendez-vous. L’Aquarium, alors l’un des principaux pôles d’attraction touristiques de Nouméa, attire des dizaines de milliers de touristes et arrive à enregistrer plus de 50 000 entrées par an !
Alors qu’ils arpentaient la soixantaine d’année. Ainsi au terme de longues négociations et de turpitudes administratives, les époux Catala parviennent à convaincre la ville de Nouméa d’acheter en viager en 1977 l’ensemble des installations de l’Aquarium.
En termes de reconnaissances, Ida Stucki ne sera pas oubliée : en 1964 elle sera faite Chevalier de l’Ordre du Mérite par Georges Pompidou, alors Premier Ministre. Le couple Catala obtiendra aussi en commun le Prix de l’Institut de France.
Le Docteur Catala s’éteindra ensuite en 1988, alors qu’il avait 87 ans. Madame Catala lui survivra le temps de presque deux décennies, et profitera de sa retraite bien méritée pour voir l’émergence d’un nouveau millénaire et du XXIème siècle.
Alors qu’elle est au crépuscule de sa vie, en 2003, l’Aquarium est devenu trop vétuste, et il est décidé de le détruire afin de laisser place au nouvel « Aquarium des Lagons » inauguré en 2007. Ida Stucki décèdera malheureusement avant à l’âge de 90 ans en avril 2005 et n’aura pas l’opportunité de découvrir le nouvel édifice.
[1] (Plus exactement d’un paratype de cette espèce – aller plus loin nécessiterait de rentrer dans des explications scientifiques qui alourdiraient la présentation, nous invitons les curieux à aller directement consulter la littérature scientifique à ce sujet)
[2] Traduction « Maison » par l’Archivistorien Calédonien
Sources :
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Wassa Drawilo est née en Nouvelle-Calédonie en 1948, à Lifou, dans la tribu de Wiwatul du district de Lössi. Elle grandit dans une famille de confession protestante et fait donc logiquement ses études avec l’Enseignement Protestant (à l’époque l’Ecole Protestante, devenue aujourd’hui l’Alliance Scolaire de l’Eglise Evangelique (ASEE)). Après avoir réussi son BEPC et ses premières études à Lifou, au milieu des années 1960 elle réussit l’entrée au Lycée Lapérouse en remportant le concours d’entrée, à l’époque démarche nécessaire pour y accéder, et continue à travailler dur en vue de décrocher le Baccalauréat, mais alors qu’elle est en année de Première, un drame familial vient la frapper : son père décède, ce qui démunit sa famille d’une source de revenus. Wassa Drawilo prend alors la décision d’abandonner ses études et de devenir le soutien financier de sa famille. En 1968, à 20 ans elle décroche un concours d’entrée à la Poste, alors qu’elle n’est pas encore majeure et commence alors sa carrière à l’OPT. A ce sujet, elle se rappelle qu’elle a été aidée par une éducation stricte : « A l’époque, l’éducation des filles à Lifou était plus stricte pour les femmes que pour les hommes. On laissait un peu plus les garçons faire ce qu’ils voulaient même avant d’être majeurs (avant 21 ans), et ils profitaient bien de leur liberté. Mais en même temps, le fait de devoir continuer à étudier sérieusement sans distraction était une bonne chose, c’était formateur. » |
Alors qu’elle demeure à la capitale pendant et après ses études, Wassa fait la connaissance de Jean Goffinet, un Belge venu s’installer en Nouvelle-Calédonie : ils se marient en 1972. Ilienne parcourant le Nouméa foisonnant du début des années 1970, Wassa apprécie la diversité de la capitale, de toutes les ethnies qui la composent et de la richesse culturelle que chacun peut apporter. Dans ces années-là, elle fait la connaissance de plusieurs personnalités, dont certains deviennent de grands amis, qui ont tous en commun une certaine envie de vivre ensemble et de faire changer les choses.
C’est ainsi qu’à 24 ans, en 1973, alors qu’elle a déjà deux enfants elle se lance en politique : « A partir de 1973, on s’est réunis avec des amis d’origines variées et on a fondé notre parti politique, Ensemble Toutes Ethnies (E.T.E.) – Il faut dire que je souhaitais vraiment faire progresser la place de la femme, et aucun parti ne convenait vraiment pour mener ce combat, les étiquettes politiques ne me plaisaient pas. Après tout, nous luttions pour l’intérêt commun, au-delà des clivages ».
Et de rajouter : « Le fait d’avoir déjà mes deux enfants m’a donné une autre perspective sur les difficultés de la maternité. Devenue mère j’ai touché du doigt les problèmes à résoudre de la femme au foyer, mais aussi de la femme au travail, puisque j’étais les deux. On sous-estime souvent la capacité des femmes à faire des efforts, mais on imagine mal tout ce que cela peut représenter comme charge. Aujourd’hui on appellerait ça la « charge mentale », mais à l’époque on était à mille lieux de la reconnaissance de ce phénomène. Malgré leurs efforts quotidiens, beaucoup de femmes subissaient des regards et des jugements négatifs, et c’était souvent très dur à encaisser. »
« Forte de mon combat, j’avais des idées pour faire progresser la cause féminine, certaines actions concrètes, comme par exemple faciliter l’accès aux garderies pour les femmes au travail »
Son parti politique, Ensemble Toutes Ethnies (E.T.E.), joignait le geste à la parole et incarnait déjà, avant la même la création du mot, une forme de « Destin commun » : Européens, Calédoniens blancs, Wallisiens, Martiniquais, Kanaks, une réunion des richesses et connaissances des sujets de chacun pour essayer d’apporter des solutions à tous, dans l’esprit de partage. Wassa Drawilo nous indique qu’elle a parfois fait des réunions de parti dans sa propre chefferie, à Wawitul, ramenant l’équipe principale de l’E.T.E., un moment d’échange pour ses amis et confrères en politiques, mais aussi pour les gens de la tribu, contents d’accueillir et de comprendre des gens aux horizons culturels très différents.
Un point de vue unique, qui permettait à Wassa Drawilo et ses collègues de l’E.T.E. d’être généralement bien vus : « On défendait un programme qu’on ne retrouvait pas dans les autres partis. On n’était pas nombreux dans l’E.T.E. mais on était bien considérés, que ce soit par les gens du RPCR ou du FI, Jacques Lafleur ou Jean-Marie Tjibaou venaient nous parler et on pouvait librement échanger avec eux. »
Ainsi tout au long des années 1970, Wassa Drawilo et l’E.T.E. vont tenter de défendre leur approche multiculturelle et centriste, dans une France et une Nouvelle-Calédonie qui passent à partir de 1974 sous la présidence au centre de Valéry Giscard d’Estaing (V.G.E.) avec sa ministre Simone Veil, amenant avec eux des avancées sociales et citoyennes : droit de vote descendu de 21 à 18 ans, mais également mesures pour les droits des femmes (notamment la dépénalisation de l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) en 1975 – mesure non étendue alors à la Nouvelle-Calédonie), qui sont autant d’émulsions pour inspirer Wassa à faire avancer la cause des femmes du pays.
Ainsi, en 1977, à l’approche des élections territoriales, dans un contexte favorable, entre les centristes au pouvoir en France et l’émulsion politique locale (scission de l’UC, apparition de nombreux petits partis aux opinions variées), l’E.T.E. décide de faire entendre sa voix et de battre campagne, la plaçant parmi les têtes d’affiches principales aux côtés de ses confrères masculins (le Docteur Raymond Mura, alors président de l’E.T.E., mais aussi Mélito Finau ou Jean-Paul Tivollier) :
« On s’est présentés, je suis passée par la télé (j’étais souvent utilisée comme cartouche à la télé d’ailleurs), dans le parti je représentais les Kanaks. Chacun militait pour ses propres combats, par exemple, je militais à l’époque pour faciliter les EVASAN de Lifou vers Nouméa et améliorer les conditions d’évacuation sanitaire, qui à l’époque étaient insuffisantes pour les gens des îles. »
De fait, Wassa Drawilo était deuxième dans la hiérarchie du parti, juste après le Docteur Mura, et a été très visible a l’époque dans les médias, s’exprimant souvent à la télévision, dans la presse écrite et à la radio pour porter la voix générale de l’E.T.E. mais aussi afin de soutenir tout particulièrement : la défense des femmes et de la condition féminine.
Une vocation double donc, de Wassa et de l’E.T.E. à défendre une autre voie pour toutes les ethnies ainsi que pour les femmes, qui se manifeste par exemple par leur volet santé de leur programme politique : « Nous devons aboutir rapidement à une couverture médicale généralisée de la population […] qui offrirait l’avantage de supprimer sur le plan racial des inégalités entre les ethnies, et sur le plan économique ».
De cette campagne de 1977, seul le Docteur Mura parvient à arracher un siège à l’Assemblée Territoriale et à représenter la voix de l’E.T.E. parmi les conseillers territoriaux. Le reste du parti, Wassa en tête n’est néanmoins pas en reste : en 1978, à l’approche des élections présidentielles de 1981, l’E.T.E. et les autres partis modérés proposent une « Union des centres », afin de se réunir et de faire porter leur voix. En effet, parmi les autres partis centristes, se trouvent certaines voix de poids, comme celle de Jean-Pierre Aïfa, ou encore du Docteure Edwige Antier (alors à la tête de l’URC), une des deux premières femmes à avoir été élue conseillère territoriale en 1977, présidente de la commission de santé et membre de la commission permanente de l’Assemblée Territoriale, qui partage le combat pour les droits des femmes que porte Wassa Drawilo (voir portrait du Dr Antier).
A cette époque-là, le Docteur Mura représentant l’E.T.E. à l’Assemblée Territoriale, Wassa Drawilo devient présidente de l’E.T.E., comme en témoignent quelques communiqués qu’elle a signé à la presse en cette qualité. C’est une période riche, car en Septembre 1978, les centristes qui ont accepté de se rassembler sous la bannière SDC-UDF créent également le comité de soutien à V.G.E. et appuyer ainsi l’action du Président de la République en Nouvelle-Calédonie.
Mais la carrière « politicienne » de Wassa Drawilo va bientôt s’arrêter là. En effet, lors de sa visite en Nouvelle-Calédonie en Juillet 1979, le Président de la République s’étant entretenu avec les Calédoniens prend plusieurs décisions, et parmi elles, la création du poste de déléguée à la condition féminine pour le territoire, poste qu’il attribue à Wassa Drawilo. Une consécration, mais aussi de grandes responsabilités qui vont lui permettre de pouvoir porter le combat pour la condition de la femme à un autre niveau. Devenant directement employée par l’Exécutif central en Métropole, elle ne peut plus s’exprimer au nom de l’E.T.E., la fonction imposant une certaine neutralité administrative.
De 1979 à 1981, alors inscrite au sein d’un gouvernement qu’elle soutient dans l’âme, Wassa se donne à fond pour incarner la fonction qui lui a été assignée et lutter pour les femmes du Territoire. « Avant tout, il fallait « faire du bruit », Il faut exister ! C’était la seule manière de changer les choses, être bruyant pour attirer l’attention et changer les mentalités. »
Au niveau communication, on peut lui attribuer plusieurs initiatives : création dans les Nouvelles Calédoniennes de la rubrique « Portraits de femme », qui une fois par mois permettait de mettre en avant les femmes de Calédonie, mais également la création d’une rubrique filmée au journal télévisé local – toutes les semaines, Wassa Drawilo passait à la télévision et tenait une rubrique qui parlait de la condition féminine en Nouvelle-Calédonie.
Cette position haute lui permet de porter à la connaissance du public plusieurs sujets de société et de l’information à destination des femmes, à une époque ou internet n’existait pas. Ainsi, elle a tenu une rubrique intitulée « Les Femmes à la CAFAT » où elle expliquait aux femmes comment elles devaient renseigner leurs démarches administratives au moment de partir à la retraite.
Wassa Drawilo résume aujourd’hui la pensée de son action ainsi : « La Condition Féminine va au-delà du Féminisme et de l’Idéologie. On se bat pour ce qui existe, pour améliorer l’existence concrète des Femmes. »
Parmi ses combats, elle nous relate ses réussites et ses échecs : « Par exemple, pour la représentativité dans les institutions, je suis parvenue à obtenir la création d’un poste pour la Condition Féminine à la CPS, ce qui a permis de donner un autre relais à la lutte pour la condition féminine, non seulement en Nouvelle-Calédonie, mais dans tout le Pacifique. Par contre, pour le droit à l’avortement j’ai dû batailler. C’est un des combats que je n’ai pu remporter sur le moment, ce que j’ai regretté, mais j’ai ouvert le débat sur le sujet en Nouvelle-Calédonie. »
Pour rappel, tandis que le droit à l’avortement en France a été dépénalisé en 1975, il ne l’a été en Nouvelle-Calédonie qu’en l’an 2000, soit plus de 25 ans après la Métropole. En combattant au début des années 1980 pour obtenir ce droit Wassa Drawilo était à l’avant-garde d’un droit à l’IVG qu’elle pouvait observer de ses yeux lors de ses missions en France, mais qui continuait à se faire clandestinement en Nouvelle-Calédonie, avec parfois des drames à la clé…
Wassa Wadrilo ne se contentait pas de l’action publique, comme elle le relate : « J’avais un bureau au Haussariat à l’époque, je rencontrais toutes les femmes qui souhaitaient me voir. Je voulais comprendre leurs problèmes, les aider à les résoudre. A l’époque il n’y avait rien pour les femmes. Je passais des appels, je faisais tout mon possible. Il fallait que j’aide ces femmes. »
Elle poursuit sur les difficultés qu’elle a pu rencontrer : « Les hommes n’écoutaient pas, il fallait rabâcher et insister lourdement pour obtenir la moindre avancée. Je me rappelle, souvent lorsque je passais directement rendez-vous, certains responsables (du monde politique ou économique notamment) trouvaient un prétexte pour ne pas me recevoir à la dernière minute. Alors, j’ai utilisé ma propre parade : représentante de l’Etat et ayant mon bureau au Haut-Commissariat, je passais par le Cabinet du Haussaire pour prendre mes rendez-vous avec ces messieurs. Bizarrement, quand j’utilisais cette méthode, il n’y avait plus de désistements pour me recevoir… »
Elle rajoute : « En Calédonie à cette époque, les femmes devaient se contenter de certains métiers bien cadrés : secrétaires, infirmières, institutrices… On ne voyait pas souvent les femmes dans les autres corps de métiers, il a fallu par exemple batailler pour pouvoir avoir la première femme chauffeur-routier sur le Territoire. Aujourd’hui heureusement, les choses ont changé et on voit beaucoup plus de femmes partout.
Un autre sujet lié au monde professionnel, c’était la parité hommes femmes, obtenir l’égalité professionnel de traitement : à niveau égal d’études, les femmes n’étaient pas aussi bien traitées, que ce soit à l’étape du recrutement ou en termes de salaire. D’ailleurs en parlant d’études, un autre axe de mon action était de m’assurer que l’enseignement féminin puisse être correctement assuré. Je suivais le Haussaire dans ses déplacements, je visitais le Vice-Rectorat, les directeurs de Collège, de Lycée. Grâce à ce travail, j’ai pu produire par la suite des statistiques sur le niveau d’études des filles et sur les différences de traitement et de résultat qui existaient entre filles et garçons.
Ces statistiques ont eu un retentissement local, mais j’ai aussi eu l’occasion de les utiliser dans nos réunions de travail en Métropole avec l’ensemble des déléguées à la condition féminine de France, y compris avec nos collègues de Martinique ou de la Réunion pour faire des points de comparaison et faire progresser la situation. »
Mais pour Wassa Drawilo, en mai 1981, les choses changent : l’élection présidentielle amène François Mitterrand et le Parti Socialiste au pouvoir, alors qu’elle n’adhère pas à leurs idées. Cet état de fait l’amène à continuer son action différemment : elle continue à tenir bon et à mener les combats pour les droits des femmes en Nouvelle-Calédonie, mais elle ne trouve plus autant d’enthousiasme à travailler pour une hiérarchie qu’elle désapprouve.
De fait, Wassa Drawilo retient que contrairement à « son » président, Valéry Giscard d’Estaing, qui avait créé son poste de délégué à la condition féminine du Territoire, c’est sous François Mitterrand qu’il cessera de fait, d’exister : au bout de deux années supplémentaires à travailler les Calédoniens sur la Condition Féminine, elle décide de s’en aller au début de l’année 1983.
Avec son départ, un vide se créée durant plusieurs années : de 1983 à 1989.
A ce sujet, Wassa Drawilo prend soin de nous préciser : « Bien qu’en 1983, j’ai cessé d’être la déléguée à la condition féminine et que j’ai retrouvé mon travail à la poste, je n’ai jamais vraiment pu quitter le maillot. Les femmes venaient encore naturellement s’adresser à moi et je continuais de les aider du mieux que je pouvais. Je leur disais pourtant « C’est fini je ne suis plus déléguée des femmes », mais elles me répondaient rapidement « C’est vrai Wassa, mais qui te remplace ? On ne sait pas qui aller voir. Pour nous tu restes notre représentante. », et c’était vrai : vers qui pouvaient-elles se tourner à cette époque ? »
Il n’y a plus de représentants de la condition féminine sur le Territoire, jusqu’à mars 1989, soit à l’arrivée de Marie-Claire BECCASLOSSI au poste de déléguée régionale à la parité et aux droits des femmes, désignée par le conseil des ministres, puis au poste de Déléguée chargée des droits des femmes pour la NC de mai 1989 à octobre 1991. Avec la création des Provinces, des déléguées provinciales à la condition féminine sont progressivement nommées, ramenant les questions des femmes dans le champ de compétences des provinces.
Petit à petit, Wassa Wadrilo se fait plus discrète et s’efface du paysage public, au profit de son travail à la poste et de sa vie familiale.
De ces années, elle retient un autre phénomène lié à la condition des femmes : « Ils ne savent pas ce que ça nous coûte, à nous les femmes de faire de la politique. C’est des sacrifices : on devient des personnages publics, on s’expose aux critiques, et on n’est pas écoutées. La parole de la femme n’était pas respectée en ce temps-là. Les hommes préféraient nous ignorer. (…) Je l’ai constaté à l’échelon local comme à l’échelon de toute la France : il y a un prix à payer pour la vie maritale des femmes qui font de la politique. Je me rappelle avoir tenté le destin : un jour lors d’une réunion entre déléguées à la condition féminine en Métropole, presque toutes mes collègues étaient divorcées ou en instance de séparation. Interrogée, j’ai fini par dire que tout allait bien dans mon couple. C’était au début de ma prise de fonction. Malheureusement, j’ai fini par suivre le chemin, et me séparer de Jean Goffinet : les absences répétées et le fait d’être un personnage public ont fini par peser sur ma vie familiale.
Je l’ai aussi vu à l’Assemblée Territoriale pour d’autres Calédoniennes : Marie-Paule Serve et Edwige Antier que j’ai connue pendant ma période d’activité sont aussi passées par là – leurs couples n’ont pas résisté à l’épreuve du passage à la politique. »
D’ailleurs avant même de se séparer de Jean Goffinet au cours des années 1980, Wassa Drawilo avait déjà connu quelques sacrifices liés à sa double casquette de mère de famille et de personnage public : « Je voulais depuis très longtemps un troisième enfant, après mes deux premières filles. Mais durant toutes les années 1970 j’ai tenu bon : je ne pouvais pas et me lancer en campagne politique et faire un troisième enfant. Par contre après être devenue déléguée, je n’étais plus dans les campagnes à proprement parler, et même si je n’avais pas encore beaucoup de temps pour moi, j’ai eu mon troisième enfant. Mais là aussi, cela n’a pas été sans difficulté. Je me rappelle encore avoir accepté une invitation à aller au Vanuatu pour aider à la promotion de la condition de la femme. Deux semaines sans voir ma fille. C’était terrible, je n’ai plus jamais voulu recommencer. On n’avait pas internet à l’époque, la coupure était nette. »
Une époque en grande partie révolue après son départ officiel de la fonction en 1983. Entre les années 1980 et 2000, Wassa, divorcée, continue à suivre l’évolution de la condition féminine. Sans jamais quitter l’étiquette de déléguée des femmes, elle a tenu le rôle officieusement jusqu’à la provincialisation en 1989, mais elle n’a pas complètement cessé de contribuer à la cause après cette période.
Sa dernière grande action publique a eu lieu au tournant des années 2000. Elle a de nouveau pris la parole publiquement, apportant son soutien à l’adoption d’une loi sur la parité hommes-femmes en politique alors appliquée uniquement en Métropole. Une démarche réussie, puisque la mesure est passée, avec tout le succès qu’ont pu connaître les femmes de Nouvelle-Calédonie en politique après l’an 2000….
Wassa Drawilo, optimiste, conclut ainsi sur le sort des femmes : « Aujourd’hui, les femmes manifestent plus souvent, elles n’ont plus peur de s’exprimer, la parole est libérée. C’est bien, les femmes ne se laissent plus faire : elles prennent leurs destins en main et luttent pour leurs droits. »
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Simone Dremon est née le 2 juillet 1922 à Bourail où son père exerçait des activités de chalandage entre la mer et la ville. A partir du 15 juin 1953, elle commence à travailler pour la municipalité de Bourail. Secrétaire à la Mairie de Bourail pendant presque 30 ans, c’est un personnage bien connu des gens de la commune qui en ont conservé un bon souvenir. Toujours très investie dans son travail, elle aura marqué le vécu de la Mairie, de la commune et de ses habitants. Le père O’Reilly indique dans le livre « Calédoniens » que : « Sa parfaite connaissance de la région des 3100 habitants qui vivent sur la commune en font le pivot et l’ordonnatrice de tout ce qui se fait à Bourail. Son bureau dans la charmante petite mairie rose de Bourail voit passer tous ceux qui ont problème personnel, d’ordre médical, scolaire, professionnel ou social. Elle est l’âme du syndicat d’Initiatives et correspondante des agentes de tourisme. » Minutieuse, et touche à tout, elle a veillé à prendre grand soin du cimetière ANZAC à Bourail, ce qui lui vaudra en 1978 d’être récompensée pour ses loyaux services rendus plus de 25 ans durant dans la conservation de ce monument aux morts. |
Ainsi, Simone Dremon sera non seulement la première Calédonienne à devenir titulaire de la Queens Service Medal, mais fait extraordinaire à l’époque, également la première personne n’ayant pas la nationalité britannique à avoir reçu cette distinction. Fait exceptionnel, la remise de médaille a été adaptée aux circonstances : habituellement remise en Angleterre et directement par la Reine ou Son Excellence le gouverneur général, la remise de médaille a cette fois-ci été effectuée par le consul général de Nouvelle-Zélande, à Bourail même, pendant la cérémonie célébrant l’ANZAC DAY lors de cette année 1978.
Les honneurs ne s’arrêtent pas là : le même jour, deux autres médailles lui ont été remises : la Médaille du Mérite National (la décoration officielle française la plus importante après la Légion d’Honneur), ainsi que la médaille du Basket-Ball par le secrétariat de la Jeunesse et des sports.
Sans descendance, elle ne s’est jamais mariée, elle s’éteindra quelques années seulement après cette reconnaissance officielle de sa contribution à la société calédonienne, en janvier 1983.
Unanimement appréciée par sa famille, ses collègues et les habitants de la commune, l’impact de Simone Dremon sur Bourail a été positif. « Simone », comme l’appelaient les bouraillais ou « Tantine » pour les jeunes des années où elle a exercé ses fonctions a marqué Bourail et la Nouvelle-Calédonie.
La commune de Bourail l’a honorée à plusieurs reprises, ainsi on retrouve aujourd’hui à Bourail une rue à son nom, la rue Simone Dremon où se trouve la Mairie de Bourail, ainsi qu’une maison de retraite également nommée en son honneur.
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Eliane Obry est née à Poindimié le 30 Avril 1939. Enfant métis d’une union entre un papa typé européen de Poindimié et d’une maman Kanak de la tribu d’Amoa à Poindimié, elle est élevée dans une Nouvelle-Calédonie rurale encore très rude, à la tribu d’Ina, dans la Brousse d’antan, et connaît alors une jeunesse qui n’est pas de tout repos : tous les jours pour aller à l’école elle doit parcourir à pied plus de 3 kilomètres depuis la maison. En 1955, alors qu’elle a 16 ans, elle voit comme une chance son mariage avec Henri Fogliani, qui lui permet d’améliorer son quotidien et d’accomplir son plus grand rêve: femme au grand cœur elle a toujours rêvé d’avoir des bébés et de leur donner tout son amour. De ce premier lit, Eliane Fogliani aura 7 enfants. Le couple Fogliani vivra ensemble à Poindimié jusqu’en 1963, date à laquelle le destin leur sourira plus au sud, le magasin Lenez de La Foa ayant alors besoin de gérants et de commerçants, fonction que le couple Fogliani occupera plusieurs années durant. En 1979, celle qu’on appelle déjà « Mamie Fogliani » change de commune et se déplace de La Foa à Farino. Les deux communes étant proches, cela permet à Eliane de continuer l’activité qu’elle a commencé après la période du magasin Lenez, car elle est entretemps devenue cuisinière-lingère à l’école des sœurs |
Eternelle travailleuse, amoureuse de la bonne chère, à l’aube de la retraite, Eliane a l’habitude de parcourir le coin : La Foa, Farino, Sarraméa. Elle connaît bien la région et ses habitants, les gens des villages, mais aussi des tribus, et la variété de produits frais que chacun produit de son côté, des richesses qui sont volontiers partagées, mais sont trop souvent enclavées dans leur voisinage proche.
Ainsi en 1987, elle prend l’initiative qui va la faire connaître et lance alors le Marché de Farino. Les débuts sont modestes : le premier marché de Farino ne compte alors que 7 stands. Malgré tout, le succès est immédiat, et les gens des environs affluent dès la première édition. Rapidement, Eliane Fogliani parvient à fédérer autour d’elle : non seulement elle a le soutien de ses proches et de sa famille dans les premiers temps de la mise en place du marché, comme sa fille Ghislaine, future maire de Farino, mais elle parvient également à convaincre des grandes figures et édiles locaux de participer à l’initiative.
Ainsi dans les premiers à aider au développement du marché dans les années 1987 – 1989, on peut souligner la participation de Philippe Euritein alors président de marché de Bâ (Houaïlou) et vice-président de marché de Farino, ainsi que les maires de Farino et La Foa d’alors.
Tout ce petit monde s’organise pour parvenir à mettre au point une logistique permettant aux participants sans moyens de locomotion de venir se rendre au marché, avec les marchandises acheminées par camions de transports communaux pour aller chercher les gens à Sarraméa, La Foa ou encore à Houaïlou.
Sur ces premiers temps, la fille de mamie Fogliani, Ghislaine Arlie nous donne un aperçu du foisonnement et de l’organisation de cette époque : « Chacun amenait ses produits : les Européens amenaient plutôt des confitures et produits locaux, les Kanaks des produits vivriers, notamment des cocos. Les gens venaient de partout : de Nouméa, des tribus, des villages alentours. Tout le monde avait l’esprit de partage et les participants mangeaient ensemble les plats qu’on pouvait faire sur place, comme des bougnas bien chargés »
La table d’hôte s’est imposée comme une évidence : Mamie avait un sens de l’hospitalité naturel, et bien souvent, elle invitait les gens qui venaient participer au Marché de Farino. « Venez manger à la maison », et on se retrouvait avec 20 ou 25 convives pour casser la croûte au domicile familial de Mamie Fogliani !
Eliane Obry, épouse Fogliani, insistait pour que ce soit gratuit, mais les gens invités étaient gênés de manger sans avoir pu participer, aussi ils profitaient de donner discrètement de l’argent à ses enfants quand elle ne regardait pas. Les invités payaient pour sa cuisine, qu’elle le veuille ou non : forte de ce constat, Mamie Fogliani s’est alors résolue à ouvrir une table d’hôte.
C’est donc en 1989 qu’Eliane Fogliani prend sa patente et ouvre sa table d’hôte. Ici aussi, les débuts sont modestes : l’établissement commence avec 4 tables qui permettent d’accueillir une quinzaine de couverts. Mamie Fogliani mobilise l’ensemble de ses enfants dans l’aventure, et autant de petites mains qui permettent de gérer une logistique aux petits oignons : lever au petit jour bien avant le soleil, et travail aux fourneaux pour s’assurer que tout soit prêt.
Il faut dire que le succès est au rendez-vous : la réputation de Mamie Fogliani atteint à présent tout la Calédonie, et la table de désemplit pas, bien au contraire. Ainsi pour satisfaire tout ce beau monde, on retrouve les fruits et les légumes, cultivés à la maison par Mamie et ses enfants, mais aussi le cerf et le cochon sauvage ramenés par son compagnon et Nils (un de ses fils), tandis que les produits de la mer, poissons et crabes sont pêchés par Glenn (un autre de ses fils) et qu’elle est aussi aidée pour tout ce qui est charcuterie (notamment du saucisson de cerf) … et oui, encore un de ses fils, Christian !
En cuisine aussi, les enfants répondent présent nous indique encore Ghislaine « tous les enfants donnaient la main à la table d’hôte. Il faut dire que dans la fratrie, deux de nos frères et une de nos sœurs sont cuistots de métier, dignes héritiers de Mamie qui était vraiment une bonne cuisinière ! »
Et il faut croire qu’il n’y a pas que sa famille qui pense comme ça. Le succès de la table d’hôte prend une ampleur inattendue : en 1995, l’établissement prend une autre dimension et de grands travaux d’agrandissement ont lieu – on passe alors de 25 à 100 couverts, tout équipé afin de pouvoir suivre le succès qui accompagne le Marché de Farino, comme la table d’hôte de Mamie Fogliani. Si elle est aidée par l’ensemble de sa famille et qu’elle surfe sur le succès, le crédit en revient avant tout à la forte personnalité de mamie, telle une chef d’orchestre, c’est elle qui est aux commandes de tout : elle gère le personnel, la qualité des produits, les menus, la logistique… Mamie Fogliani est partout. Elle s’occupe même de la publicité !
Dans un reportage de NC1ère de 2018, l’aîné de la famille, Henri-Luc nous donne un aperçu de ce côté hyperactif et organisateur de la part de Mamie : « […] Pis alors ! Mamie elle est comme ça, mais elle aimait se mettre en avant, Mamie toujours ! Elle affrontait ! Elle affrontait les caméras, elle affrontait tout hein ! Mamie se battait pour les prix, elle voulait pas, elle passait dans les stands elle disait « non, non c’est trop cher, il faut baisser les prix. » Je me souviens même qu’il y avait des dames dans les marchés elles avaient deux prix : un prix quand mamie elle passait et quand mamie elle partait ! Bah c’était pas le même prix ! »
Et de rajouter : « Le marché c’est tout pour elle, c’est sa mémoire ! Elle va toujours faire quelque chose, se renseigner, téléphoner, demander à sa fille Ghislaine si tout va bien, vérifier que la pub a marché ! […] Elle peut pas ralentir, c’est plus fort qu’elle ! »
Eternelle passionnée, elle publie aussi des livres de recettes, intitulés simplement « Recettes Calédoniennes de Mamie Fogliani ». On y retrouve les recettes qui ont fait son succès, par exemple dans le tome 1 « 57 recettes de viandes et volailles, […] cerf ou gadin (13 recettes), la roussette (7 recettes), le cochon sauvage ou poca (7 recettes), le ver de bancoule ou wattias (4 recettes) […] ». D’ailleurs, en plus du Marché de Farino, Mamie lancera aussi la fête du ver de bancoule, organisée en septembre tous les ans.
Là aussi, c’est une histoire de famille : non seulement ses enfants partent dans la forêt à la recherche des bancouliers pour préparer la fête, mais Mamie crapahutait aussi dans la brousse. Elle explique elle-même qu’elle a eu l’idée en retournant voir son frère à Poindimié, qui lui a dit de faire une fête des « wattias », nom du ver de bancoule en langue kanak de Poindimié, pour attirer les curieux. Elle se rappelle du succès de la fête : 5000 personnes présentes à Farino !
Le Marché de Farino aura bien évolué au cours du temps : des sept stands originaux qui composaient le marché en 1987, en 2020 on décomptait quatre-vingt exposants !
La success story se poursuivra pendant plusieurs décennies. Une vraie synergie s’est établie entre Mamie Fogliani et le Marché de Farino, qui se font rayonner mutuellement. Cette aventure transforme Farino en un vrai bijou touristique, et grâce à elle la commune de Farino est devenue plus ouverte aux gens de l’extérieur. Toutes les histoires, même les meilleures ont malheureusement une fin. Eliane Obry épouse Fogliani s’est éteinte le 1er Août 2020.
Et si sa table d’hôte n’a pas survécu au départ de sa fondatrice, Mamie Fogliani aura marqué les gens par sa gentillesse, son fort caractère, son amour, sa générosité et sa passion pour les produits du terroir et la bonne chère. Avec ses racines riches et profondes dans la brousse calédonienne, elle aura su largement fédérer autour d’elle, et incarner l’esprit de partage de notre Caillou.
Mamie laisse aussi en héritage au Territoire une descendance nombreuse : Interrogée par l’émission «Wéari » en 2016 elle déclarait fièrement « j’ai 80 petits-enfants, et une vingtaine d’arrière-petits-enfants ! ». Débordante de gentillesse et d’amour pour eux, ils auront égayé les dernières années d’Eliane Obry, qui aura su apprécier sa vie et continuer à trouver des petits plaisirs jusqu’à la fin. Mamie Fogliani aura un peu été la Mamie de tous les Calédoniens, et pour tout ce qu’elle a pu accomplir, elle méritait bien un portrait qui lui rendait hommage !
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Berthe Rosalie Kitazawa-Fouque, née Fouque a une histoire tout à fait singulière, du type d’histoire qui inscrit les histoires personnelles dans le cadre de l’Histoire avec un grand H. Née d’une mère japonaise et d’un père français, ancien officier de marine installé au Japon en 1870, elle reçoit une éducation soignée à l’école impériale.
Pleinement investi dans ce business, Robert Fouque s’installe alors en 1913 à Nouméa, et a de grandes ambitions, notamment celle de faire de la Nouvelle-Calédonie une terre d’accueil pour les Japonais qui souhaiteraient s’y installer. Il décide également de se lancer dans la grande aventure minière Calédonienne. |
Dans la même période, en 1911, un accord entre les gouvernements français et japonais donne aux travailleurs immigrés japonais les mêmes droits que les Européens sur l’île, ce qui en fait une communauté unique à l’époque : les Japonais sont de fait les seuls non-Européens à disposer d’un statut aussi favorable !
Toutefois le destin contrarie les rêves de Robert : contraint à revenir au Japon en 1916, la famille Fouque est touchée par une vague de décès, tandis que le climat des affaires devient difficile après 1920, entre un krach boursier japonais, la chute des cours du nickel et des grosses difficultés de rentabilités. Ses difficultés financières sont sérieuses.
Au bord du gouffre financier, il n’aura pas l’occasion de remonter la pente : une épidémie l’emporte en 1931.
C’est donc en 1931 que Berthe Kitazawa-Fouque entre en scène : elle devient gérante des biens de son frère Robert, y compris ses mines à Poro et Goro ainsi que la société minière qu’il avait fondé en Nouvelle-Calédonie en 1913.
Dirigeant d’abord le business familial à distance, en 1938, elle s’installe à Nouméa, accompagnée de trois de ses enfants afin de directement prendre les choses en main. Dotée d’un sens des affaires aigu et d’une grande capacité à sociabiliser, elle ne tarde pas à fonder la société Franco-Nikko-Calédonienne, tandis qu’elle reçoit les cercles importants de Nouméa dans son salon.
Dans le milieu très masculin de la mine, et à une époque où peu de femmes de pouvoir sont présentes en Nouvelle-Calédonie, sa présence détonne et aiguise la fascination et la méfiance chez les puissants et les nantis du Territoire, le tout épicé d’un contexte international romanesque : elle est attentivement surveillée par les autorités de la Colonie.
Issue d’un milieu aisé, très cultivée, et parlant couramment japonais, français et anglais, tout en bénéficiant de réseaux relationnels puissants tant au Japon qu’en Nouvelle-Calédonie, sa capacité d’influence est importante. Elle se permet même de créer sa propre voie et de faire parler ses intérêts propres et ceux de sa société devant ceux favorisés par le gouvernement Japonais comme en témoigne ses oppositions avec Akira Séo, un concurrent Nippon beaucoup plus inféodé à l’Empire du soleil levant.
Mais l’approche de la guerre va provoquer un terrible coup de marteau de la part du destin. Déjà auditionnée en août 1941 par le renseignement français, occasion qu’elle avait habilement utilisée pour discréditer ses concurrents japonais, elle est finalement arrêtée en Décembre 1941, après l’attaque de Pearl Harbor.
A nouveau, preuve de son caractère unique, elle sera la seule femme japonaise à être internée sur l’îlot Freycinet alors que les autres japonaises seront retenues à Nouville. Par la suite, son destin se mêle au reste des 1100 Japonais qui ont été déportés de la Nouvelle-Calédonie vers l’Australie : elle embarque le 19 Décembre 1941, avec son fils et ses deux filles et l’une des petites filles, sur le Cap des Palmes, puis après 1945, les Japonais sont redirigés vers le Japon.
Berthe Rosalie Kitazawa-Fouque ne reviendra jamais en Nouvelle-Calédonie, mais sa fille Kay (Catherine-Kazuko) et sa petite-fille Jacqueline finissent par revenir sur le Territoire en 1954. Jacqueline finira par se marier au cours des années 1960, et une partie des descendants de la famille Kitazawa vit encore aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie.
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Représentation graphique / portrait |
Fernande Le Riche est née en Nouvelle-Calédonie en 1884. Son père, Paul Le Riche, originaire de la Réunion et négociant de commerce avait épousé Elisabeth Paddon, issue de l’union du célèbre James Paddon avec Fanny Naïtani, mélanésienne originaire des Nouvelles-Hébrides d’alors (aujourd’hui le Vanuatu). Son père décède alors qu’elle est encore très jeune, à l’âge de 4 ans. Elle est alors élevée principalement par sa mère dans la Nouvelle-Calédonie des années 1880-1890. Afin de venir en aide à sa mère, Fernande devient enseignante stagiaire à l’âge de 16 ans, à l’aube du XXème siècle. Elle vivra avec elle et en prendra soin jusqu’à son décès en 1947. Fernande Le Riche effectuera toute sa carrière, de 1900 à 1946, à l’école communale des filles, à l’exception d’un court séjour entre mars et juillet 1925 à l’école de la Vallée-du-Tir où elle assura la direction de l’école après le départ d’Amélie Cosnier. Fernande est bien connue dans le monde enseignant. Les points de vue semblent unanimes : Fernande a laissé à tous ceux qui l’ont approché un extraordinaire souvenir. A la suite de cette carrière exemplaire, au crépuscule de sa vie, une école nouvellement créée sera baptisée de son nom en 1965 : l’école Fernande Le Riche, à l’Anse Vata. Cultivée et femme de lettres, mais cependant discrète, Fernande Le Riche a laissé presque dans l’anonymat un héritage littéraire imposant : elle a légué à la bibliothèque Bernheim des cartons dans lesquels se trouvaient les manuscrits de ses souvenirs, des récits centrés autour de personnages rencontrés par Fernande au cours de sa vie. |
Alors qu’elle s’est éteinte en 1967, il faudra attendre l’année 1997 pour que ses manuscrits parviennent au grand public, grâce à l’intervention de l’association des amis du livre et de la reliure, et de sa présidente, Micheline Besse (qui avait elle-même connue Fernande Le Riche dans sa jeunesse). Les récits de Fernande sont alors publiés sous le titre « Sourep, Ambroisine et autres récits », du nom de quelques-uns des personnages principaux de ses œuvres.
Précurseure d’un féminisme qui n’est pas mis en clef de voûte de ses récits, mais est pourtant omniprésent dans les questionnements et la représentation de la vie des personnages qu’elle évoque (qui sont souvent féminins), Fernande Le Riche s’intéresse aux femmes, à leurs problèmes, à leurs luttes, aux quotidiens parfois difficiles et en donne une représentation qui permet de mieux comprendre ce que pouvaient endurer les anciennes Calédoniennes.
Ainsi en va-t-il pour Sourep, jeune Indonésienne qui a le malheur de se marier à un Japonais avant la Seconde Guerre Mondiale et verra son mari être déporté alors que ses enfants sont encore en bas âge, ou encore de la vie de Florentine, une marchande de café qui prend la décision d’abandonner son mari. De même Henriette, originaire de Lifou, qui a bien voulu raconter à son amie Fernande des histoires de sa terre à Nathalo.
Fernande a aussi laissé un récit où elle parle de son aventure à la Vallée-du-Tir, où elle annonce sa fierté d’avoir réussi à rendre plus polis les jeunes garçons qui ne disent plus d’insultes devant les jeunes filles !
A ce titre, Fernande Le Riche peut être considérée comme la première femme d’extraction et d’inspiration calédonienne et océaniennes. Comme l’indique l’association des amis du livre et de la reliure : « son œuvre, encore en grande partie inédite, est le patrimoine commun de tous les enfants du pays ».
Très appréciée de ses anciennes élèves, celles-ci en 1997 parlaient avec beaucoup d’émotion de cette institutrice d’exception, et en particulier de son rire qui était célèbre !
Fernande semblait en avoir conscience, puisqu’un des manuscrits qu’elle a laissé, qui constitue la préface de son livre nous donne le passage suivant :
« Mais la Mort semblait s’attacher à mes pas. Claire [sœur de Fernande] s’éteignit fauchée dans la fleur de son âge. Elle n’avait pas vingt ans. Frappée par ce deuil, je décidais de ne point convoler. Aussi, parmi ces milliers d’enfants passés par mes mains, aucun ne serait de mon sang. Mais, fasse ogresse, je les marquerai de mon rire. J’essaierai de leur inculquer le sens de la justice, de leur faire le don du bonheur. Ils me seront au fond plus proches que leurs parents mêmes. »
Fernande était un personnage haut en couleur qui aura marqué plus d’un Calédonien : précurseure des causes féministes, femme de lettres, institutrice investie, ses récits à visage humain sont marqués de l’ouverture d’esprit d’un destin commun qui n’avait pas besoin de mots pour être vécu et ressenti par les anciens, mais que sa plume nous aura légué en héritage.
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Emma Meyer est née en 1910 dans une vieille famille calédonienne. Fille de Maxime Meyer et d’Adèle (née Engler), elle est la seule fille parmi ses cinq frères. Elle grandit à Thio où son père dirigeait la Société Le Nickel. Emma obtient le diplôme d’état d’infirmière hospitalière en 1936, puis devient en 1937 puéricultrice de la faculté de Paris. A son retour à Nouméa à la fin des années 1930 elle exerce la profession d’infirmière puis d’infirmière major au centre hospitalier Gaston Bourret. La jeune calédonienne n’est pas seulement infirmière : attachée à la brousse et aux enfants, elle consacre ses loisirs à organiser le scoutisme calédonien et sera de 1939 à 1964 la « cheftaine » des éclaireurs de France du Patronage Laïc Georges Clémenceau (PLGC), puis de la Fédération des Œuvres Laïques (FOL). Pendant la Seconde Guerre mondiale, Emma fait avec les moyens du bord, palliant au manque de matériel accessible sur le Territoire, et fait montre d’une grande ingéniosité en allant jusqu’à confectionner des prothèses orthopédiques faites maisons, jugées astucieuses par ses contemporains. |
Appréciée par les médecins américains et ses chefs, elle décide par la suite de changer d’orientation en devenant la première assistante sociale de Nouvelle-Calédonie. Première responsable de ce service, elle le restera jusqu’en 1971. Elle laisse un souvenir très positif à ce poste. Ainsi dans l’ouvrage de Jean-Marc Estournès sur l’histoire de l’hôpital Gaston Bourret peut-on lire sur elle : « Dévouée, révoltée par les injustices et dotée d’une énergie exceptionnelle, elle consacrera une partie de sa vie aux enfants délaissés, en tant qu’assistante sociale »
Après la guerre, elle continue à faire prospérer le scoutisme en Nouvelle-Calédonie et c’est en 1953 qu’elle fonde l’association des scouts laïcs de Nouvelle-Calédonie regroupés sous la bannière des Eclaireurs et Eclaireuses de France, en collaboration avec Jacques Trouillot, qui s’occupe des garçons, tandis qu’Emma Meyer gère les filles. Cette association fait alors partie de la Fédération des Œuvres Laïques (FOL).
Interrogée par la Mairie de Nouméa, une ancienne scout qui a connu les enseignements d’Emma, Mme Danielle Song-Ollivaud témoigne : « C’était une femme à poigne, mais que nous adorions toutes. Nous lui devons beaucoup ; grâce aux éclaireuses nous sommes sorties de chez nous. »
Portant toujours à cœur les problèmes des plus démunis, son action continue à s’étendre au-delà de la sphère professionnelle pour toujours plus s’investir dans le monde associatif. Ainsi, c’est à son initiative qu’est créée en 1958 l’association pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence en Nouvelle-Calédonie. Cette association ouvre son premier établissement à Poindimié (maison d’enfants Antoinette Kabar) puis d’autres suivent à Nouméa (Institut Clair Côteau et Foyer Georges Dubois).
Célibataire cultivée, Emma est également animée par sa foi protestante, et elle consacre ainsi ses loisirs à la mise en place du Foyer Fraternel. Elle créera ensuite une troupe théâtrale pour les jeunes en difficulté tout en participant au fonctionnement de l’Institut Jeanne d’Albret.
Sur la fin de sa vie, elle commence à perdre la vue, et elle s’intéresse aussi au sort des malvoyants en mettant en place l’association Valentin Haüy (AVHNC) en 1979, qui permettra l’apprentissage du braille et développera une bibliothèque sonore.
Partie à la retraite en 1971, elle continuera ses différents combats : aide à l’enfance, soutien aux malvoyants, et même protection de la nature puisqu’elle participera à la structuration de l’association pour la sauvegarde de la nature.
Emma Meyer finira par devenir complètement aveugle sur le tard, touchée de plein fouet par le mal qu’elle aura aidé à mieux comprendre avec l’association AVHNC. Sur ses derniers jours elle trouvait un certain réconfort dans la musique, qu’elle affectionnait tout particulièrement.
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Caroline Newedou est née à Unia (Yaté) le 17 avril 1922. Sa mère fait partie de la chefferie Tara, tandis que son père est originaire de la tribu de Banjou (Païta). Dans ses premières années elle fut principalement élevée par son oncle Paul Digoue et son épouse, originaire de Lifou. A la tribu, elle était nommée « Goué Vie », d’après le nom d’une fleur de la forêt. A l’âge de 8 ans, elle est envoyée en mission à l’école de la mission à Goro. Dans ce cadre, elle apprend à faire la cuisine, à s’occuper des animaux de la ferme, mais aussi à chanter. C’est aussi l’occasion d’apprendre le respect des autres et le vivre ensemble, des valeurs qui la marqueront et qu’elle transmettra ensuite tout au long de sa vie. En 1940, le destin frappe fort : Caroline est atteinte de la peste. En appelant au seigneur, ses parents font un vœu pour sa guérison : si elle s’en remet, elle rentrera au noviciat des Petites Filles de Marie à Saint-Louis. |
Elle fait sa profession de foi le 7 Janvier 1947, et c’est ensuite une époque riche en voyages et en missions partout en Nouvelle-Calédonie. Ainsi Sœur Caro sera en poste à Bondé, Balade, Bourail, mais aussi Poindimié, avant de se fixer douze années durant à la mission de Ponérihouen. En 1964, elle finit par revenir dans le sud et prend ses fonctions à la mission de Saint-Louis, ce qui marque pour elle le début d’une nouvelle période.
Sœur Caro décide de profiter de ce retour à proximité de la capitale pour s’intéresser au sort des prisonniers : ainsi, Frédéric Angleviel, dans « Une Histoire en 100 Histoires » nous dit « qu’elle visite régulièrement les prisonniers du camp Est et donne des cours de catéchisme à Nouville », tandis que Patrick O’Reilly dans « Calédoniens » nous indique que « Sœur Caro s’intéresse également aux prisonniers du camp Ouest à Ducos, et se trouve être le « bras droit » de l’aumônier des prisons » mais aussi que « Sœur Caro apporte à ces déshérités le sourire de son optimisme, les lumières de la foi chrétienne et sa bonté souriante ».
En 1966, Sœur Caro fonde le foyer Béthanie, où elle peut accueillir et aider les femmes en détresse. Interrogée au début des années 2000, celle-ci se souvient « J’en ai marié, j’en ai baptisé. Ma foi m’a amenée à beaucoup de choses. Il y en a qui viennent encore me voir ». Ainsi, des femmes et jeunes filles de toutes origines, lors de leurs périodes de grandes difficultés, peuvent trouver refuge au foyer Béthanie, et à l’époque, essentiellement auprès de Sœur Caro. Au début une petite structure à taille modeste encastrée dans une demi-lune, en 1979, victime de son succès, le foyer Béthanie passe à un bâtiment comprenant huit studios.
Cette action pour protéger les jeunes femmes en difficulté ne se fait pas au détriment de son engagement pour les prisonniers : elle mène en parallèle les deux combats de front. Ainsi, en 1976, en collaboration avec Evelyne Lèques et Raymond Teyssandier de Laubarède, elle fonde la RAPSA (Association pour la réinsertion des anciens prisonniers dans une société accueillante), le tout en liaison avec les chiffonniers d’Emmaüs en Métropole, ce qui permet d’institutionnaliser et de pérenniser les efforts que Sœur Caro a déjà engagé depuis 1964 en faveur des prisonniers de Nouvelle-Calédonie.
Sur tous les fronts et pour ajouter encore une corde à son arc qui complète un peu plus son action sociale et son engagement à faire de la Nouvelle-Calédonie une société meilleure, notre religieuse décidément hyperactive fonde également en 1980 le Centre Récréatif de la Jeunesse afin de s’y occuper des jeunes désœuvrés ayant quitté l’école. Elle voulait apprendre à ces jeunes le sens de la coutume et le respect des autres.
A partir de la fin des années 1980, Sœur Caro devient un peu moins active, mais c’est également le temps de la reconnaissance publique. Ainsi, après avoir obtenu en 1980 la médaille du mérite national, elle obtient la Légion d’Honneur en 1990. Elle a également pu ouvrir le premier conseil des femmes du Pacifique de 1994.
Sur ses dernières années, son grand loisir restait la lecture. En 2008, après une vie riche en combats de société, après avoir parcouru la Nouvelle-Calédonie de long en large, et avoir vécu et transmis des valeurs de respect, d’amour et de destin commun, Sœur Caro finit par s’éteindre paisiblement sur la fin de sa huitième décennie d’existence, et plus de soixante années à avoir tenté de rendre la Nouvelle-Calédonie meilleure.
Sœur Caro aura marqué les esprits et les cœurs Calédoniens, avec son sourire et sa bonté. De fait, Caroline Newedou aura été l’incarnation vivante de la locution latine « Dieu est amour », Deus caritas est.
Sources :
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Fille de Paul Leyraud, hommes d’affaires et maire de Nouméa de 1912 à 1919, Henriette Leyraud grandit dans le Nouméa de l’entre-deux guerres, une société encore très conservatrice. Sa mère, Jeanne, parisienne d’origine et employée d’un boutique de chapeaux de luxe, lui transmettra ses connaissances dans le domaine. La suite de son histoire sera très liée, d’un destin commun à l’homme qui deviendra son mari, Edouard Pentecost. Celui-ci est d’origine métissée : sa mère est Maréenne. Les unions mixtes sont alors mal vues dans le Nouméa du début des années 1930. En 1932, enceinte, leur mariage est célébré. Débute alors l’origine d’une nouvelle aventure d’un couple qui va se forger une destinée à la force du travail.
La Librairie Pentecost, que des générations entières de Calédoniens vont fréquenter est alors fondée. Si Edouard Pentecost est très actif dans la librairie, en homme d’affaires né et sportif actif, il est aussi souvent occupé ailleurs : Henriette Pentecost gère souvent la Librairie elle-même au cours de la décennie. |
Ils assouplissent la pause midi afin de pouvoir attirer les clients qui sont en pause déjeuner.
En 1939, Lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate, les journaux de France n’arrivent plus.
Mais Henriette a des réponses à cette crise : elle compense par une mise en valeur de la bibliothèque, et développe la bibliothèque de location aux clients. Afin d’apporter de la nouveauté, elle met en avant des auteurs peu connus, et applique une politique stricte de contrôle des sorties des ouvrages pour optimiser la circulation des livres.
Le succès est tel, que la Librairie doit mettre en place en 1940 un système de correspondance avec les clients de Brousse pour pouvoir leur prêter des ouvrages aussi.
Parallèlement à l’arrivée des Américains en 1942, une première employée est recrutée dans la boutique. Cette nouvelle recrue permet à Henriette de se recentrer sur sa vie de famille. Ce retrait n’est toutefois que temporaire. Dès 1948, de retour d’un voyage aux éditions Hachette en France avec son mari, Mme Pentecost fait créer sa propre division dans la Librairie, la Boutique « Claude France ».
Cette boutique, marquée de la personnalité d’Henriette Pentecost, attentive à la mode, se spécialise justement dans les vêtements, chapeaux, et accessoires de mode, féminine, mais également masculine. Elle enrichit son catalogue de produits et maintient un fort lien avec sa clientèle, de sorte que sa boutique connaît un grand succès.
L’ouverture de leur nouvel immeuble place de l’Alma dans les années 1950 confirme Mme Pentecost dans son rôle de femmes d’affaires. A la tête de sa division féminine de choc (Régine, Christiane et Claude), Henriette se fait un plaisir de faire marcher sa boutique liée à la mode qu’elle aime tant, et s’active sur tous les fronts : rentabilité, relationnel client, présentation des articles… Elle n’en reste pas moins attachée aux fondamentaux de l’accueil clientèle et n’hésite pas à se salir les mains en personne pour garantir, avec son équipe, la propreté de son magasin et de sa devanture, allant même jusqu’à parfois frotter les chewing-gums collés sur le trottoir pour que l’entrée que pratiquent les clients soit impeccable. Une vraie perfectionniste !
De tous les combats, elle ne ratait rien et voyait tout, au point que ses équipes la surnommaient « œil de lynx ».
Femme d’engagement également très impliquée dans le secteur associatif, elle sera membre de l’association des Femmes Chefs d’Entreprise, membre du Club Soroptimist, présidente d’honneur du comité du 22 avril 1988 et présidente d’honneur de l’Association pour le Droit de Mourir dans la dignité. A l’issue d’une vie de labeur et de combats, elle obtiendra la reconnaissance suprême en devenant chevalier de la Légion d’Honneur en 2001.
Elle continuera encore longtemps à travailler avec passion et ne prendra sa retraite qu’à 88 ans. En 2016, elle s’éteint à l’âge vénérable de 100 ans, ayant laissé derrière elle une descendance nombreuse, et un héritage encore présent dans les mémoires calédoniennes.
Sources :
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Qui aurait pu prédire que le destin de Renée Reuigall, née à Perpignan le 17 janvier 1931 la mènerait en Nouvelle-Calédonie ? Fille de notable, celle-ci se montre brillante dans les études et obtient son baccalauréat à 17 ans, avant d'entamer des études de droit à la faculté de Montpellier, qui la mèneront à obtenir sa maîtrise de droit à l'âge de 22 ans. Ayant trouvé là sa vocation, la future Madame Renée Reuter décide de poursuivre dans sa voie, et enchaîne après sa maîtrise l'examen du CAPA, qu'elle obtient à 23 ans, avant d'effectuer un stage obligatoire de 3 ans auprès du parquet de Montpellier. C'est en réalité ici, dans cette ville et au milieu de ses études de droit que le destin va venir la ramener dans l'histoire de notre Caillou. En effet, au même moment, au milieu des années 1950, Robert Reuter, né en 1929 et issu d'une famille calédonienne bien connue, a lui aussi pour passion le droit. Il a fait le même choix d'études et de faculté. Renée Reuigall accepte de devenir Renée Reuter et de partir au bout du monde pour y poursuivre sa carrière, avec son mari. Elle a alors dans l'idée de faire carrière dans la magistrature, et commence à fournir de sérieux efforts en ce sens : en même temps qu'elle effectue son stage auprès du parquet de Montpellier, elle prépare parallèlement le concours de la magistrature, ce qui n'est pas sans difficultés. |
Mais elle va devoir faire un choix. Une concession est inévitable, car elle est une femme sur le départ pour l’Outre-mer. Et à cette époque, en Outre-mer et donc en Nouvelle-Calédonie, les postes de magistrats ne sont pas ouverts aux femmes.
Qu'importe, elle est très compétente dans son domaine et a une large polyvalence autour du droit. Si elle ne peut pas être magistrate, alors elle sera avocate. Ainsi, nos deux tourtereaux Renée et Robert arrivent en Nouvelle-Calédonie à la fin 1957 et le couple Reuter ouvre ensemble son cabinet d'avocat en 1958.
Renée Reuter devient alors la première femme avocate de la Nouvelle-Calédonie. Cette nouveauté détonne dans une fin des années 1950 qui n'a pas encore connu les révolutions libertaires des années 1960 - 1970. Au début sous le feu des projecteurs et surtout de ses collègues masculins du barreau qui sont choqués par la présence d'une femme parmi leurs rangs, les doutes se calment assez rapidement, en à peine 2 années.
Il faut dire aussi que Renée Reuter a deux atouts dans sa manche : le premier, c'est qu'elle n'a pas ouvert son cabinet toute seule et qu'elle est l’associée de son mari Robert Reuter, ce qui lui amène à une reconnaissance de fait par le reste de la profession. Mais surtout, très compétente, elle fait vite ses preuves et elle devient rapidement pair parmi ses confrères du barreau qui apprécient ses capacités et son efficacité.
Malheureusement, le destin vient frapper la famille Reuter, et, en 1968, Robert Reuter décède, laissant Renée seule praticienne dans son cabinet d'avocat, tout en étant jeune maman. Elle relèvera le défi et continuera à tenir le cabinet sans difficulté pendant presque une année. Mais, au bout d'une décennie de présence parmi ses collègues du barreau, sa compétence appréciée font d'elle une collègue compétitive et en vogue.
Ainsi, Maître Georges Chatenay, figure bien connue du barreau et du paysage politique d'alors décide de proposer à Maître Renée Reuter de s'associer afin de former un cabinet en commun. Renée Reuter nous indique " Je connaissais bien le travail de Maître Chatenay. Avec sa façon de travailler et de fonctionner, je savais que nous ferions une bonne équipe. Je n'ai pas hésité longtemps avant d'accepter."
Une nouvelle période commence alors. Période multi-facettes, car en plus du cabinet d'avocats, Renée Reuter se lance également en politique, et devient conseillère municipale pour la ville de Nouméa, de 1970 à 1976. Ce qui fait là aussi d'elle une pionnière, puisque si ce n'est pas la toute première, elle fait partie des premiers représentants de la gente féminine à occuper ce poste.
Travaillant tant au sein du cabinet qu'à la mairie, elle est principalement membre du groupe de travail qui s'occupe de vérifier l'hygiène et la bonne tenue des commerces de la ville. Elle participe aussi aux conseils municipaux, avec le maire historique de l'époque, Roger Laroque.
Avant de devenir conseillère municipale, toutefois, elle avait prévenu : "Un seul mandat". Et Renée s'y est tenue. En 1976, celle-ci n'a pas renouvelé l'aventure et a pu à nouveau se consacrer entièrement à son cœur de métier : son cabinet d'avocats et le droit.
Et ce plein dévouement a dû être repéré par ses collègues. Ainsi en 1981 c'est la consécration. Elle est élue par ses pairs, en majorité des hommes, au poste prestigieux de bâtonnier. Le bâtonnier occupe une fonction très importante au sein du barreau avec plusieurs implications : pouvoir de décision, dont le pouvoir disciplinaire de sanctionner des collègues avocats, présidence du conseil de l'ordre, représentation protocolaire à l’égard des autorités, gestion de l'administration du barreau, mais aussi assistance judiciaire et juridictionnelle.
Bâtonnier pendant deux ans, de 1981 à 1983, cette époque a été riche en évènements : "j'ai beaucoup travaillé. Il y a eu des moments assez difficiles. J'ai dû me résoudre à quelques reprises sanctionner des collègues. Ce n'est jamais une décision que l'on prend à la légère, c'est une responsabilité lourde." Il semble aussi que le fait d'être puni par une femme n'ait pas plu à certains. Pourtant, comme l'indique Renée "J'ai dirigé un barreau essentiellement constitué d'hommes".
Une autre anecdote concerne son engagement politique et sociétal. Bien que sa carrière politique ait été terminée, alors que la période très tendue des évènements commençait, elle a fait partie d'un cortège lors d'une des grandes manifestations contre l'indépendance. Elle se rappelle : "Un défilé de femmes, nous étions dans un cortège entièrement féminin, et nous menions la marche, avec Roberte [Lafleur], et alors que nous arrivions vers le haussariat où restaient cachés le président en visite qui n'a pas voulu rencontrer la population et le haussaire, nous étions en train de crier nos slogans. Jamais ils ne sont sortis de leur cachette. Le président, effrayé par un cortège de femmes." nous raconte-t-elle avec le sourire.
Par la suite, même si les évènements ont continué à bercer le quotidien de tous les calédoniens de moments difficiles, après 1983 et l'effervescence qu'elle avait connu en tant que bâtonnier pendant 2 ans, Renée s'approchait tout de même de la fin de sa carrière : depuis 1958, cela faisait déjà 25 ans qu'elle exerçait. De 1983 à 1989 elle a exercé tout en commençant à lever le pied progressivement, tout comme son collègue Georges Chatenay qui se faisait vieux.
Mais alors qu'elle s'apprêtait à raccrocher, elle a décidé de "rempiler" pour quelques années encore : son fils Philippe Reuter, avait fini ses études de droit et était prêt à reprendre le cabinet familial. Néanmoins, il lui manquait l'expérience et la connaissance des dossiers.
Renée Reuter, après avoir effectué sa mission de transmission du savoir à la génération suivante finit tout de même par prendre sa retraite à l'âge de 64 ans, au milieu des années 1990.
Non seulement reconnue par ses pairs en 1981, ceux-ci lui feront un autre cadeau. Sans le lui dire, ils ont lancé la procédure pour la faire reconnaître à l'Ordre du mérite ,après une carrière bien méritée.
De la jeune femme arrivée en 1958 qui devait parfois subir "un regard difficile à encaisser", en passant par le quotidien bien acquis "des moments agréables, on se connaissait, on siégeait ensemble", jusqu'à gravir les plus hauts échelons pour finir par être unanimement appréciée, que de chemin parcouru : en 1990, Renée Reuter reçoit l'Ordre du Mérite, plus haute distinction française après la Légion d'Honneur.
Elle laisse en héritage son cabinet d'avocats, aujourd'hui tenu par son fils, maître Philippe Reuter, le cabinet Reuter - de Raissac - Patet, qui en digne successeur de sa lignée d'avocats, a lui aussi occupé la fonction de bâtonnier au barreau. Un cabinet qui aujourd'hui encore, rend honneur à la gent féminine avec de nombreuses collaboratrices dans ses rangs.
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Maria Amelia Francisca Dolores Piorska est née à Lima (Pérou) le 17 février 1847. De son Amérique du Sud natale rien ne semblait la destiner à se rendre en Nouvelle-Calédonie. Et pourtant ! Une suite d’évènements assez improbable mènera cette dame à devenir une personnalité connue et importante des communes du centre, à Bourail et à Poya, où elle laissera sa marque dans la Nouvelle-Calédonie des années 1890 – 1920. Mais avant la Nouvelle-Calédonie, la future Madame de Granval a eu une vie. Une vie riche en évènements et en voyage, aidée, il faut le dire par son statut social et son ascendance nobiliaire. En effet, Maria semble-t-il, si l’on en croit la légende familiale qu’a rapportée Pauline De Aranda Fouché (sa fille, qui est également une grande figure féminine Calédonienne), le nom de jeune fille « Piorska » / « Piorkque » aurait été inventé de toute part vers les années 1770 – 1780 pour son grand-père paternel, caché et élevé secrètement en France (dans un château), qui ne parlait que le Polonais. Le véritable nom de famille de celui-ci n’aurait jamais été révélé, mais il aurait eu une parenté étroite avec Auguste III, roi de Pologne. Si cette légende familiale sur l’ascendance de Maria Piorska n’est pas vérifiable, on en sait en revanche beaucoup plus sur son parcours personnel. Ainsi, en 1881, Maria épouse, en rapport avec son rang social Fernando de Aranda Carvajal y Salazar Alvarez de Sotomayor y Mendoza, lui-même fils naturel (hors mariage) d’un Grand d’Espagne, Fernando de Aranda y Salazar, le comte d’Humanes (localité proche de Madrid). |
De cette union naîtra en 1882 sa fille, Pauline De Aranda, qui aura aussi une destinée remarquable en Nouvelle-Calédonie. Fernando, musicien de renom en France, sera remarqué en 1886 par l’élite de l’Empire Ottoman, qui le recrutera pour déménager dans la Turquie actuelle et se produire là-bas. Si l’on ne connaît pas les raisons précise des désaccords entre les époux, il semble que ce départ pour l’Orient ait causé leur séparation.
Cette séparation entre Maria et son premier époux sera décisive. En effet, deux ans plus tard, en 1888, Ernest Routier de Granval, colon réunionnais venu s’installer en Nouvelle-Calédonie avec la vague d’immigration réunionnaise des années 1860-1870 et grand propriétaire terrien à Poya, alors en métropole pour affaire, fait la rencontre de Maria, et se marie avec elle.
Le destin frappera d’une manière cruelle et inattendue : à peine trois mois après leur mariage, Ernest décède subitement. Sans héritier, c’est Maria Piorska, à présent Madame Routier de Granval qui récupère la propriété (qu’elle rachète, car leur mariage était sous séparation de biens).
Mais avec une fille encore jeune, et ne connaissant pas la Nouvelle-Calédonie, elle reste en métropole pour veiller à la bonne éducation de sa vie dans l’élite parisienne de l’époque.
Quelques années plus tard, en 1896, le gouverneur Feillet fait la rencontre de Madame Routier de Grandval et parvient à la convaincre de mettre en valeur les terres dont elle est propriétaire et de se lancer dans l’exploitation de celles-ci.
C’est ainsi que commence l’aventure Calédonienne pour la jeune Pauline et sa mère plus expérimentée. Elles font le voyage à bord de l’Armand Behic avec le gouverneur Feillet. Nos deux pionnières aventureuses s’installent d’abord à Poya en 1897, où pendant 7 années Maria apprend les difficultés de l’exploitation agricole dans le centre de la Nouvelle-Calédonie, menant une existence austère dans une brousse calédonienne sans route et aux communications difficiles.
Les informations sur leur période d’activité à Poya sont assez minces, mais on sait que Maria et sa fille Pauline ont tenté de mettre en valeur les terres qu’elles possédaient, en dépit des difficultés qu’elles ont rencontrées. Une anecdote toutefois permet de remettre en perspective l’aura de noblesse que devait dégager Madame Routier de Grandval : en 1898, le condamné Jean-Baptiste Delfaut, alors déployé pour travailler à Poya a écrit un long poème flatteur à l’égard de la comtesse du bout du monde :
Ce n’est pas la beauté que mon regard contemple,
C’est la vertu, l’honneur, le devoir et l’exemple,
Je n’ai jamais aux grands prodigués mes concerts,
Ce n’est qu’aux braves cœurs que vont toujours mes vers […]
Vous faites des heureux, mais aussi que d’ingrats !
Combien traitent, hélas, vos projets de folie !
Vous rêvez de peupler dans cette colonie,
Un désert, pour tous ceux que le sort y jeta,
Et vous avez choisi pour votre œuvre… Poya !
Je ne sais si jamais cette terre inclémente
Aux mains du laboureur deviendra fécondante,
Et si, bravant l’ennui de ces tristes climats,
Quelques hardis colons voudront suivre vos pas,
Mais vous aurez tout fait pour que l’œuvre surgisse,
Et pour vous être, ô femme offerte en sacrifice […]
Ce poème, l’exilée de Poya, un hommage à Madame de Grandval, est un témoignage en prose des difficultés que notre pionnière de l’intérieur a dû rencontrer dans ses projets, et nous donne une idée de la force de caractère du personnage, qui n’a jamais renoncé face à l’adversité. Adversité qui n’était pas seulement due au climat si l’on en croit la notice bibliographique du père O’Reilly dans son livre « Calédoniens » : « […] Elle y arrive [en Nouvelle-Calédonie] avec un chef de culture, M. Cornet-Cernaud, qui lui suscitera des ennuis. ».
Dans un milieu extrêmement rude et machiste, Madame Routier de Grandval a dû composer avec une brousse calédonienne peu habituée à ce que des femmes dirigent. Bien que nous n’ayons pas plus de détail sur les désaccords entre les deux, il est probable que des considérations machistes n’aient pas aidées les bonnes relations entre le chef de culture et sa patronne.
Le Père O’Reilly poursuit et nous donne d’autres détails sur l’aventure de celle qu’il nomme Dolores Piorska : « […] Avec le gérant Alexandre Maillard, elle fera du café, du blé, élèvera du bétail, demeurant tour à tour sept ans à Poya – propriété qui passera aux Berge – et quinze ans à Bourail. Très dévouée aux gens du pays où elle veut introduire de nouvelles cultures et des méthodes plus rationnelle, elle créée l’Œuvre des fermières. […] »
En effet après 7 années de présence à Poya, Maria Dolorès Routier de Granval décide de céder sa propriété à la famille Berge pour tenter l’aventure à Bourail. Ce changement de cap est impulsé par le changement de situation de sa fille Pauline de Aranda qui se marie à Nouméa le 16 mars 1903 avec le géomètre Julien Belet, nommé à Bourail. Pauline De Aranda résume elle-même ainsi la situation dans son ouvrage « A mes enfants calédoniens » : « […] A la fin de 1904, le jeune ménage vint s’installer à Bourail, point plus central ; et madame de Grandval l’accompagna, désespérée à la pensée de voir s’éloigner sa petite-fille, Alice, née à Poya le 26 février 1904. Le 7 avril 1906 naquit René Belet. […] »
Pauline de Aranda Fouché décide d’utiliser volontairement cette gravure de Marc le Goupils dans son ouvrage (« A mes enfants calédoniens ») pour illustrer le quotidien difficile de parcours à cheval qu’elle a vécu, ce qui semble refléter une certaine réalité qu’ont du connaître Pauline et sa mère, Maria Routier de Grandval. Par ailleurs d’après Les Nouvelles Calédoniennes (article de 1977 par Jacqueline Senes), Pauline (et donc sa mère Maria) avaient pour « plus proches voisines « Les Demoiselles Le Goupils » ». |
Désireuse de rester proche de sa famille, Maria déménage à Bourail. Toujours attachée à produire des cultures et tenir la propriété, s’occupant aussi de ses petits-enfants en tant que grand-mère attentive, Maria Dolores s’occupe aussi des désœuvrés de la commune de Bourail et tente de prendre soin de ses habitants les plus atypiques.
Ainsi dans un article des Nouvelles Calédoniennes de 1977, Jacqueline Senes nous apprend la découverte d’un manuscrit de Pauline de Aranda, « le petit livre noir », qui évoque les aventures de Mme Routier de Granval et de sa fille à Poya et à Bourail dans les années 1890 – 1900. Ainsi on apprend que nos deux aventurières rencontrent des personnages rocambolesques, des véritables célébrités du coin, tels que L’Horloger de Bourail, accusé d’être un pyromane meurtrier mais aussi soupçonné d’être riche voire secrètement noble, ou encore Canard le réparateur de piano qui fait le tour de la Nouvelle-Calédonie qui rend visite à chaque fois qu’il passe à Bourail à la fameuse Mère Cri Cri au destin tragique.
Madame de Granval a continué à s’intéresser à l’agriculture, et a même tenté d’améliorer les moyens et les méthodes agricoles via l’établissement d’une structure collective, l’Œuvre des fermières, qui a été abondamment commentée et étudiée par Jerry Delathière.
Ce besoin soudain naît d’une période difficile : accentuée par des évènements climatiques tout au long de la décennie 1900 – 1910 (inondations, sécheresses, invasions de sauterelles…), en 1909 sévit dans la région de Bourail une grave crise agricole, qui touche une majorité d’agriculteurs. Pour couronner le tout, à cette époque, c’est la fin du bagne de Bourail qui entraîne le départ des travailleurs de cette branche, donc une diminution de la population et de la consommation locale.
Des mots mêmes de Mme Routier de Granval, mais aussi de Mme Mayet Elmire (une grande dame de la région qui participera à plusieurs concours agricoles et deviendra chevalier agricole) : « Nous ne voyons que gêne, soucis, dettes. Nous avons approfondi les causes de cet état voisin de la misère : nous avons constaté le découragement, la désespérance »
Cette déclaration fait partie d’une communication publique, directement dans le journal de la brousse de l’époque, Le Bulletin du Commerce du 6 mars 1909 et dont le titre de l’article publié ne laisse aucun doute : « Appel pour la création de l’Œuvre des fermières de Bourail ».
Cette structure, à la croisée des chemins de beaucoup d’intentions, entre mise en production collectiviste, tentative de contrôle du marché, association caritative et plan de développement voire plan de relance de l’économie municipale, est quasi-intégralement à l’initiative d’un collectif de femmes : non seulement les têtes d’affiches publiques que sont Mmes de Granval et Elmire, mais aussi d’autres femmes moins connues, des amies ou encore des femmes de colons.
Pleines de bonnes intentions elles annoncent publiquement leurs objectifs : « […] Son but est de :
1°) Se procurer l’outillage agricole et industriel qui lui est indispensable pour l’exploitation de notre sol ;
2°) De devenir l’intermédiaire entre l’offre et la demande. Il y a ici beaucoup de capacités ignorées, sans moyen de se faire connaître et apprécier ;
3°) De créer pour les cinq cent enfants de notre centre une école agricole et industrielle ;
4°) D’obtenir de l’Administration pénitentiaire la jouissance d’une partie des locaux qu’elle abandonne dans notre 3è arrondissement, notamment l’hôpital, le magasin des subsistances et divers autres immeubles aux mêmes conditions offertes à la Municipalité qui les a refusés »
Jerry Delathière y adjoint ce commentaire : « Incontestablement, cette initiative naît du retrait de la Pénitentiaire du centre et du difficile constat de la réalité économique qu’a suscité ce départ en s’ajoutant à la crise. Elle a essentiellement une vocation sociale et se veut tournée en priorité vers « les petits agriculteurs », les « déshérités », entendons par là les concessionnaires pénaux et les tribus ».
Malheureusement, la cause même de la grave crise qui sévit, à savoir les difficultés climatiques vont de nouveau sévir. Si pendant 3 années durant, entre 1908 et 1910, des premières démarches pour mettre en place l’Œuvre des fermières jusqu’à la deuxième année d’exploitation des cultures sous leurs recommandations, notre conglomérat de femmes bouraillaises va tenter l’impossible pour tenter de relancer la machine agricole, cela ne sera malheureusement pas suffisant.
En effet, de terribles sécheresses viennent anéantir leurs initiatives en 1909 et 1910, tandis que la colonie est alors au plus profond d’une crise économique qui la met au bord de la cessation de paiement, empêchant le gouverneur Richard pourtant très favorable à ce collectif de dames volontaires de pouvoir leur accorder des finances qui auraient été bienvenues.
Si cette tentative échoua, elle laissera le souvenir de femmes courageuses qui, armées de bonnes intentions et prêtes à donner de leur personne, auront tenté d’inverser le cours du destin et de sauver leur commune.
Jusqu’au crépuscule de son existence, elle a continué à s’occuper de sa propriété, sans doute avec l’intervention grandissante de Pauline de Aranda, alors encore dans la force de l’âge, puisque celle-ci déclare : « Pendant quinze ans, les huit heures à cheval nécessaire au trajet furent une source de fatigues extrêmes […] huit heures de route par des sentiers à peine tracés, de traverser des rivières à gué ainsi que des fondrières où le cheval s’embourbait jusqu’au poitrail. Il était pourtant nécessaire de surveiller la propriété, malgré la présence d’un très bon gérant […] Un jour de pluie battante, elle faillit se noyer avec son cheval en traversant des rivières transformées en fleuves au courant rapide et limoneux. La mort l’épargna. Ainsi qu’en bien d’autres circonstances. […] »
En 1919, une nouvelle fois, la famille Belet – Routier de Granval déménage : le mari de Pauline, Lucien Belet devient chef du service topographique par intérim, ce qui signifie qu’un départ à Nouméa s’impose. Une nouvelle fois, Maria Dolores Routier de Granval fait partie des bagages et revient à la capitale pour continuer à veiller sur sa fille et ses petits-enfants.
Mais à plus de 70 ans passés, et avec une vie bien riche en évènements, l’énergie de Maria Dolores Piorska va diminuant, et quelques années après, elle s’éteint paisiblement en 1923. Pauline s’en souvient ainsi : « en 1923, le 20 avril, madame de Grandval décédait. Le tout Nouméa défila devant son corps, chacun conserva le souvenir de la beauté morale et physique de la morte »
Pour terminer ce portrait d’une façon positive cependant, nous laisserons la dernière citation à Jacqueline Senes. Probablement plus proche du cliché voire de la légende que de leur quotidien, il est à peu près certain que l’imaginaire collectif qu’ont laissé l’Exilée de Poya et sa fille devait ressembler à cette description :
« Voilà donc les grandes figures de Bourail [L’horloger de Bourail, Mère Cri-Cri…] que connaîtra Pauline quand, petite fille encore, elle accompagnait sa mère, la Comtesse de Poya, tant dans les salons de la Haute Administration que dans les rues boueuses des villages.
Quel conte baroque autour de ces deux femmes jetées dans une cambuse en peau de niaouli, toutes deux fascinées et par les échos du pénitencier et par l’ardent poème des Mines d’Or dont elles essaieront de chercher les gîtes jusque dans les Iles du Nord.
Car le manuscrit de Pauline prendra toute sa valeur quand vous saurez de qui descend cette femme intrépide, l’aventure qu’elle connut aux Bélep à la poursuite des filons d’or, et le mystère qui planait sur sa comtesse-de-maman, noble dame péruvienne devenue maîtresse d’un domaine calédonien, couvert de manguiers, où travaillaient les boys nus et noirs avec des barres à mines de bois dur »
Si certains de ses efforts n’ont pas été couronnés de succès, le plus grand héritage qu’elle aura laissé à la Nouvelle-Calédonie aura sans doute été le modèle de femme intrépide qui a inspiré sa fille, Pauline de Aranda-Fouché, qui elle aussi connaîtra elle aussi un destin remarquable, qui, comme sa mère, aura tenté de développer la Nouvelle-Calédonie et ira plus loin encore dans l’action publique : entrée en politique, combats féministes…
Sources :
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Missem Kramawirana est née à la mine de Goro le 20 mars 1940. Si son vrai prénom est Missem, à l’état civil, une mauvaise orthographie de l’état civil transforme son prénom par erreur Massijem. A l’âge de 2 ans, elle quitte Goro avec sa famille pour rejoindre la capitale. Comme l’indique Frédéric Angleviel dans son ouvrage, « une histoire en 100 histoires » : « Ce n’est qu’à l’âge de 9 ans qu’elle effectue ses premiers pas dans une école primaire, d’abord javanaise car ses parents avaient toujours entretenu le désir de rentrer en Indonésie. » Si elle rentre tardivement à l’école primaire, c’est une élève studieuse, et en 2 ans à peine, elle maîtrise le Français. Frédéric Angleviel rajoute « A 12 ans, ayant le niveau mais trop jeune pour présenter le Certificat de Fin d’Etudes, elle doit redoubler cette classe. Malheureusement, elle ne pourra se rendre à l’examen car au mois d’août 1953, à 13 ans, elle quitte le Territoire à bord du Skaubryn, un navire spécialement affrété pour le rapatriement des travailleurs sous contrat javanais. » Marie-Jo Siban confirme : « Je suis rentrée en Indonésie avec mes parents, étant mineure, je n’avais de toute façon pas le choix » |
Lors de son épopée retour en Indonésie, Missem Kramawirana vit d’abord une vie plutôt calme dans le village d’où est originaire sa famille, avant de continuer ses études dans l’activité débordante de la Jakarta des années 1950. Elle se dirige vers une formation d’institutrice. Avec son niveau en Français elle est vite réorientée vers le Lycée, puis l’Université. A cette occasion elle donne des cours privés pour financer ses études. Ainsi, elle peut présenter une licence de langue à la Faculté de Pédagogie de Jakarta où elle s’inscrit.
Dans la même période, notre jeune Missem Kramawirana fait la connaissance de son futur mari, Soukiban Siban, qui a la particularité d’être comme elle natif de Nouvelle-Calédonie (La Foa). Ils se marient ensemble en 1963, et Missem Kramawirana devient alors Mme Siban.
En 1965, naît leur fille Any, qui sera future conseillère de 1999 à 2004 à l’Assemblée de la Province Sud. Finalement la petite famille décide qu’avec une partie de leur vécu en Nouvelle-Calédonie et leurs connaissances en français, ils peuvent tenter l’aventure du Caillou, bien que la quasi-totalité de leurs racines familiales soient à présent solidement ancrées en Indonésie.
La possibilité de ce retour est à mettre au crédit de Soukiban Siban, en effet, Jean-Luc Maurer qui s’est longuement entretenu avec le couple, nous apprend dans son livre « Les Javanais du Caillou – Des affres de l’exil aux aléas de l’intégration » que de fil en aiguille, au terme d’efforts et grâce à son réseau d’anciens « niaoulis » de Nouvelle-Calédonie, Soukiban parvient à se faire embaucher à l’ambassade de France à Jakarta à partir de 1955, un poste qu’il occupera jusqu’en 1968, s’occupant notamment de la valise diplomatique, des questions de dédouanement et des contacts avec l’immigration.
Cette expérience et ses contacts conservés avec la Nouvelle-Calédonie lui permettront de « partir en éclaireur » en 1968, où il travaille trois mois comme chauffeur-livreur, avant de se faire embaucher chez l’agence Brock dans un emploi plus stable, ce qui lui permet de faire venir sans tarder sa femme et sa fille.
De fait, ce départ est aussi le fruit de la situation politique et économique de l’Indonésie, qui se dégrade progressivement : Soeharto, un général de l’armée Indonésienne commence des manœuvres pour prendre le pouvoir à l’ancien premier dirigeant de l’Indonésie indépendante, Sukarno. En 1965-1966, des répressions sanglantes lui permettent d’assoir son coup d’état par la terreur, au prix de plusieurs centaines de milliers de victimes (les estimations varient de 500 000 à 3 millions de morts, et à plus de 600 000 prisonniers). Bien qu’ils ne soient pas directement affectés par ces sombres évènements, pour la famille Siban aussi, l’horizon de l’avenir n’est pas bien radieux sur place, ce qui explique aussi le choix du retour, au moins temporairement, en Nouvelle-Calédonie pour retrouver une vie plus paisible.
Ainsi, en Septembre 1968, après plus de 15 ans à vivre en Indonésie, la famille Siban et Missem, qui pour l’occasion récupère le nom francisé de Marie-Jo, sont de retour en Nouvelle-Calédonie. Marie-Jo travaille pendant six mois au bureau Veritas, jusqu’au début de l’année 1969.
Ce retour en Nouvelle-Calédonie la frappe par le décalage phénoménal avec Jakarta mais aussi par le temps qui était passé : « Quand je suis revenue en 1968, je suis arrivée dans une Nouvelle-Calédonie que je ne reconnaissais pas, mais qui était surtout calme et travailleuse : on ne demandait pas à l’époque « quel est ton niveau d’études », mais plutôt « quel est ton travail ? ». Ce calme changeait de Jakarta et ses 4 millions d’habitants fourmillant d’activité.
L’adaptation a été difficile : si à Jakarta elle entretenait plusieurs activités professionnelles simultanément et elle retrouvait le week-end une ville très vivante, en Nouvelle-Calédonie, dans le Nouméa de l’époque, beaucoup plus sobre, elle n’avait qu’un seul travail, tandis qu’en dehors du travail la plupart des activités se centraient autour de la famille et des activités ménagères : or, en dehors de son mari et de sa très jeune fille, Marie-Jo n’a pas de cercle social autour duquel évoluer, ce qui, pour cette hyperactive est tout juste impensable.
Interrogée par Jean-Luc Maurer, elle témoigne : « Arrivée ici, je ne pensais pas du tout entrer dans la vie associative. J’avais d’autres soucis. Le premier c’était de rembourser nos dettes. On était venus avec trois valises de linge et on devait 200 000 francs. Quand on touche 20 000 chacun, donc 40 000 par mois, c’est difficile. »
Marie-Jo a bien quelques amies encore présentes en Nouvelle-Calédonie, mais elle rajoute : « En revenant en Nouvelle-Calédonie, j’imaginais retrouver l’ambiance de mon enfance, mes amis d’enfance. Lorsque je suis arrivée en septembre 1968, ce n’était plus la Nouvelle-Calédonie des années 50. Mes amies d’enfance, le peu que j’avais, étaient mariées, avaient leur travail, leur famille, leur vie… (…) »
Ce qu’elle dit ensuite à Jean-Luc Maurer, elle l’a également évoqué lorsqu’elle a été sollicitée pour ce portrait : « Quand on a pas de famille, comme moi, on cherche des amis. Et moi les amis je suis allée les chercher au consulat indonésien, puisqu’on a vécu 15 ans en Indonésie. J’y suis allée pour une fête indonésienne et une semaine après on m’a demandé si je ne pouvais pas aider l’association des femmes indonésiennes »
Ainsi, dès mai 1969, Marie-Jo Siban devient présidente de l’association des femmes indonésiennes « malgré la jeunesse et l’inexpérience ». Reliée au consulat Indonésien, l’objectif de cette association était de former les femmes aux traditions, à la cuisine et à la culture indonésienne, dans une communauté où justement les traditions commençaient à se perdre.
Dans le même temps, elle assure un autre rôle en devenant secrétaire du comité de gestion du Foyer indonésien de Magenta. Marie-Jo n’hésite pas à faire la jonction entre les deux entités : l’objectif de créer physiquement ce foyer indonésien était un objectif majeur, aussi l’association des femmes indonésiennes effectue t’elle des actions pour récolter des fonds et participer à cette aventure. A l’aide de la culture, de la tradition et de la cuisine indonésienne, les deux formations rayonnent à la fois auprès du grand public et de la communauté indonésienne, qui est alors en pleine expansion et compte près de 6000 membres, dans un Nouméa qui n’est pas encore la grande agglomération qu’elle est devenue depuis.
La communauté indonésienne est nombreuse, mais pour reprendre les mots de Jean-Luc Maurer « segmentée, pour ne pas dire divisée ». La tâche demande donc de la volonté, de la diplomatie et un certain respect des cultures et de la tradition, des qualités dont dispose Marie-Jo Siban. Même si « La communauté était plus javanaise qu’indonésienne », celle-ci nous confirme ses capacités « J’avais plus de facilité à me faire comprendre avec mon bagage culturel et mes connaissances des traditions. L’écart n’était parfois pas simple à franchir entre les jeunes et les anciens. Il fallait faire comprendre que tradition et modernité n’étaient pas incompatibles. »
En 1971, les efforts payent : Marie-Jo Siban et l’association des femmes (mais pas que) sont parvenues à financer l’effort pour la création du foyer indonésien, qui était dans les cartons depuis 1959 : il sera construit à Magenta.
L’objectif était accompli : le foyer indonésien était enfin là. Malheureusement, malgré les efforts fournis, la situation est plus précaire qu’il n’y paraît : financé quasi-intégralement par les dons de la communauté indonésienne, il n’est pas soutenu financièrement ni par les institutions calédoniennes de l’époque, ni par le consulat d’Indonésie. Mais c’est surtout l’urbanisme galopant de Nouméa qui pose le plus de problèmes : pensé pour être une structure loin des habitations, autour du foyer indonésien, des habitations poussent et des nouveaux voisins se multiplient.
A peine créé, le foyer indonésien est déjà gêné dans ses fonctions premières, que nous décrit Marie-Jo Siban : « Il manquait un espace pour les Indonésiens pour se réunir, et tenir les mariages et rituels Javanais notamment. Ces cérémonies et les autres grandes fêtes amenaient à du tapage nocturne, alors même que Magenta devenait un quartier très peuplé en plein développement. Il n’était plus possible de maintenir le foyer sur place, il fallait déménager »
La suite se passera donc à Robinson, mais sans Marie-Jo Siban, qui n’est alors pas d’accord avec la décision du comité de gestion : « j’ai été plus ou moins démissionnaire […] le terrain de Magenta pouvait être utilisé pour faire autre chose que des fêtes. »
Elle ne devait pas être la seule à penser comme ça, car elle nous déclare « Le Foyer Indonésien a joué un grand rôle dans la venue du Karaté en Nouvelle-Calédonie. Dans les premiers professeurs de Karaté, il y avait des ouvriers Indonésiens venus en CDD pour les travaux des ponts de la Côte Est (à défaut de ponts, on utilisait des bacs sur la plupart des rivières) et des tours de Saint-Quentin. Je me rappelle aussi qu’on a beaucoup popularisé le badminton. Il faut dire que certains des meilleurs joueurs mondiaux étaient indonésiens à cette époque ! »
A son pic d’activité entre 1969 et le milieu des années 1970, Marie-Jo Siban est sur tous les fronts, y compris le front médiatique : « Je passais occasionnellement à la radio pour mes 2 casquettes, association des femmes indonésiennes et secrétaire du comité de gestion. Je me rappelle être intervenue plusieurs fois aux côtés de la Fédération Féminine de Nouvelle-Calédonie avec Marie Paule Serve ou encore la présidente d’honneur, Mme Cherrier, l’épouse du sénateur Lionel Cherrier. J’intervenais sur la musique indonésienne, le sport, les pratiques culturelles… et le badminton. Comme c’était plutôt nouveau sur l’île, il fallait tout expliquer, même la plume du badminton ! »
Alors qu’après 1972, le comité de gestion du foyer Indonésien s’essouffle après avoir commencé à installer le nouveau foyer indonésien à Robinson, les associations indonésiennes continuent à se développer chacune de leur côté, sans toutefois qu’il y ait d’effort d’unité. Petit à petit Marie-Jo Siban se désinvestit sur la fin des années 1970 et le début des années 1980, en même temps que sa fille grandit et qu’elle s’investit de plus en plus dans sa scolarité et la réussite de ses examens.
« Dans un premier temps, je continuais à suivre les activités associatives, mais je n’avais plus de responsabilités. J’ai même complètement arrêté les associations quand ma fille a atteint la 1ère, et jusqu’à la fin de sa terminale ! »
Mais une fois le baccalauréat en poche, la fille de Marie-Jo Siban a de l’ambition, et part continuer à faire ses études à Toulouse, laissant sa mère avec, de nouveau, un vide à combler.
Certes Marie-Jo Siban a un emploi qui l’occupe sur ses heures de travail (après avoir passé 6 mois chez Véritas, elle a pu intégrer début 1969 l’agence de voyage Brock où son mari était lui aussi employé, où elle a rejoint le service comptabilité), mais maintenant que sa fille est partie, elle ressent d’autant plus le besoin de relancer un projet qui fédérerait la communauté Indonésienne, presque aussi divisée en 1983 qu’elle ne l’était quinze ans plus tôt en 1968 !
Depuis 1972, le comité de gestion du foyer et le foyer Indonésien lui-même sont petit à petit entrés en léthargie, avant de complètement passer en sommeil. Les plus grands rassemblements se font autour des associations religieuses ou funéraires, tandis qu’une myriade de petites associations de quartier indonésiennes existent un peu partout sur le Caillou (clubs de jeunesse, équipes de football (on en décompte au moins 15 !), associations culinaires,), chacun restant dans les alentours de son voisinage sans chercher à aller particulièrement vers les autres.
De façon spontanée, une nouvelle génération émerge, parmi lesquels de jeunes talents qui font parler d’eux et qui eux aussi, de façon spontanée, ont le désir de réunir la communauté. Marie-Jo Siban nous donne des exemples et évoque le chanteur Andy Panatte et le peintre Johanes Wahono : « Ces jeunes ont compris qu’il fallait qu’on se réunisse, qu’on fasse revivre la culture indonésienne »
Marie-Jo Siban résume cette prise de conscience en ces termes : « Au sein de la communauté, on a compris qu’il fallait se réunir et former quelque chose de plus crédible. Pour la communauté, déjà, mais aussi pour nous représenter à l’extérieur. Et surtout, il fallait tout faire pour motiver notre jeunesse, car ils sont notre avenir ! »
Elle poursuit : « Il nous a fallu un an pour nous organiser, entre 1983 et 1984 avant de pouvoir lancer la machine. Avant tout, notre premier objectif était d’essayer de regrouper les Indonésiens de NC peu importe leur religion, leur nationalité, leur âge, leur genre. Ensuite, très important aussi, on voulait les intéresser à perpétuer nos traditions et pérenniser la culture. Une fois ces conditions réunies, l’objectif suivant est venu tout seul : on avait déjà l’ouverture à d’autres communautés. C’est plus facile de représenter toute la communauté Indonésienne si on est tous réunis dans la même association »
C’est là le moment fondateur de son œuvre : l’Association Indonésienne de Nouvelle-Calédonie (AINC), officiellement créée en 1984.
Sur les 3 premières années, de 1984 à 1987, elle mène les opérations pour relancer un projet déjà bien connu : obtenir un foyer indonésien fonctionnel. Missem Kramawinara prend alors contact avec les anciens membres du comité de gestion et travaille d’arrache-pied sur le projet, car tout est à faire : il faut remettre le foyer en état, car celui-ci est alors abandonné, cassé, non relié à l’eau et à l’électricité, et par-dessus le marché, la route qui mène au terrain n’est pas propriété du foyer et du comité, ce qui peut causer problème à l’avenir.
Et en 1987, c’est un succès franc : elle a convaincu l’ancienne équipe de céder le terrain et le foyer de Robinson à la nouvelle association et au terme de gros efforts, l’Association Indonésienne parvient également à réunir les fonds pour acheter le terrain qu’il lui manque pour être directement raccordée à la route en toute indépendance.
Un travail d’équipe, pour lequel Marie-Jo Siban est reconnaissante : « Heureusement, nous avions beaucoup de jeunes très dynamiques et très convaincants, avec des palettes de métiers et de connaissances variées : nous avions des bricoleurs qui ont beaucoup aidé à la création et l’entretien du foyer, d’autres qui ont été voir les anciens et ont réussi à les faire participer à notre action… »
Après une pause elle nous déclare : « J’ai été récompensée, car beaucoup de jeunes m’ont remercié de ma motivation et de ma vision d’unité d’échange et de transmission. ». Autour de Marie-Jo Siban et de son Association, on pourrait presque parler d’un destin commun des Indonésiens.
Ainsi les efforts paient : au début des années 1990 tout est fonctionnel dans l’Association, qui devient de plus en plus efficace. Marie-Jo Siban a maintenant un très grand projet qui lui tient à cœur : elle souhaite réaliser en 1996 un grand évènement pour le centenaire de la présence Indonésienne en Nouvelle-Calédonie. Elle voit là l’occasion de marquer un grand coup et de fédérer encore davantage les membres et la jeunesse autour d’un projet où tous les Indonésiens peuvent se sentir investis.
Mais la tâche s’annonce dantesque : l’ampleur de l’organisation requise est sans commune mesure. Il faut anticiper et se préparer activement. Marie-Jo Siban trouve l’entraînement parfait : en 1994 elle organise l’évènement des 10 ans de son association, qui permet déjà de rôder du monde autour de nombreuses tâches et d’avoir des retours d’expériences concrets sur ce genre de grandes festivités.
Dans le même temps, il n’y a pas que l’Association Indonésienne qui devient plus efficace : entretemps Marie-Jo Siban s’est lancée à son compte et est devenue une femme d’affaires. Elle a quitté Brock et a fondé avec une ancienne collègue sa propre agence de voyage en 1989 : Asia Voyages.
La même année, elle se lance également en politique et devient conseillère municipale de la ville du Mont-Dore, position qu’elle occupera une dizaine d’années, jusqu’en 1999 devenant la première femme indonésienne de Nouvelle-Calédonie à rentrer dans la vie politique active.
La décennie 90 est clairement pour elle l’aboutissement de tous ses efforts : succès en affaires, succès en politique, mais également bien sûr un immense succès en 1996 pour les célébrations du centenaire de la présence indonésienne en Nouvelle-Calédonie. Comme Marie-Jo Siban l’avait souhaité, c’est un évènement refondateur, et beaucoup de jeunes se sont formés sur cet évènement en devenant des membres du comité du centenaire, dont certains aujourd’hui sont encore présents dans l’Association Indonésienne de Nouvelle-Calédonie.
La présidente-fondatrice décidera de partir sur ce succès en apothéose pour se concentrer quelques années encore sur la vie publique et politique : elle deviendra membre du Comité Economique et Social de 1996 à 2001, et en lien avec le CES, assurera la fonction de trésorière du Pacific Economic and Cooperation Council (PECC) jusqu’au début de l’année 2005.
Elle ne se retire pas complètement de toute vie associative, puisqu’à partir de 1999 elle devient vice-présidente de l’association Asal Usul (A l’Origine), qui se concentre sur la sauvegarde du patrimoine culturel des Javanais de Nouvelle-Calédonie. Si, là aussi, elle n’occupe aujourd’hui plus de fonction exécutive dans cette structure, que ce soit pour l’Association Indonésienne de Nouvelle-Calédonie ou Asal Usul, elle a continué au cours de ces 20 dernières années à être consultée et écoutée. Elle occupe actuellement bien plus un rôle représentatif mais aussi de ressource culturelle : tel une passeuse de mémoire, elle renseigne la jeune génération sur les pratiques rituels et culturelles, et a pu aider quelques jeunes à écrire des livres.
Jean-Luc Maurer nous dit dans son livre que « [Marie-Jo Siban] aurait certainement pu aller plus loin dans la vie politique active et a été encouragée à le faire pour représenter les Indonésiens. Toutefois, elle a préféré passer la main à sa fille, qui avait fait des études supérieures de commerce international en France. Celle-ci sera élue conseillère de la Province Sud, lors des élections de 1999, première personnalité indonésienne à atteindre cet échelon de responsabilité politique »
Une logique qui s’inscrit dans la démarche de Missem Kramawirana : construire pour la jeune génération, l’accompagner, travailler avec elle, lui apprendre, puis lorsqu’elle est prête, lui passer le flambeau. Tandis qu’en 1999 Mme Siban senior cesse son activité de conseillère pour la ville du Mont Dore, sa fille Any prend le relais, et brille encore plus fort en étant conseillère pour la Province !
Alors qu’au cours des années 2000, elle diminue progressivement sa présence dans la vie publique pour se recentrer sur la famille et pouvoir chouchouter sa petite-fille, Marie-Jo Siban restera très estimée, et en 2013, elle sera faite chevalier de l’ordre national du mérite, la plus haute distinction française après la légion d’honneur !
Que de chemin parcouru ! De l’enfant qui n’avait pas appris à maîtriser le français avant l’âge de 9 ans à l’élue municipale, de la jeune fille qui « au fin fond de son petit village en Indonésie, ne penserait pas voyager un jour » et est devenue patronne d’une agence de voyage, ou encore de la déracinée de retour sur un Caillou austère à la recherche d’une communauté jusqu’à la maturité d’une structure associative qui forme une grande famille, Marie-Jo Siban a laissé son empreinte dans l’histoire du Territoire et de la Communauté Indonésienne.
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