L’entrepôt de Koé, de l’agriculture à la restauration

Connu sous le nom d’« entrepôt » de l’usine sucrière de Koé ou d’« auberge de la Rhumerie », le bâtiment n’a pourtant jamais rien eu à voir avec l’exploitation de la canne à sucre ! À défaut d’avoir stocké du rhum, les deux niveaux du bâtiment ont servi à entreposerdes patates et du matériel agricole. « Lorsque j’étais enfant, des pommes de terre séchaient à l’étage, évoque Jacques Fayard, dont la famille est propriétaire des lieux depuis 1922. Je me souviens encore de l’odeur si particulière. » Situé aux abords de l’usine de transformation de canne à sucre créée par la famille Joubert et son associé, Gustave Clain, l’entrepôt a longtemps été assimilé à cette activité. D’où, d’ailleurs, l’erreur sur sa date de construction. Liliane Fayard a patiemment consulté les archives pour découvrir la vérité. En 1877, l’usine sucrière de Koé, alors en faillite, est vendue aux enchères à John Higginson. Deux ans plus tard, le très entreprenant Irlandais loue les terres à l’administration pénitentiaire. L’entrepôt n’est pas encore mentionné dans les documents. La bâtisse en briques aurait donc été édifiée vers les années 1880 pour l’usage du pénitencier agricole. Ce type d’établissement était un des piliers de la colonisation pénale.


Un entrepôt polyvalent

Jusqu’au récent incendie, l’entrepôt a pratiquement toujours abrité une activité. En 1922, Victor Fayard et son épouse, Gabrielle Langlois, rachètent la propriété de Koé. Le couple pratique de nombreuses cultures sur ses terres et le « dock », comme l’appelle le grand-père, remplit pleinement sa fonction agricole. Il sert au séchage du café, des pommes de terre et au rangement du matériel. Après le décès de Victor, l’entrepôt entre dans la Société des propriétés Fayard, créée en 1937. Il sert ensuite successivement de magasin pour l’intendance des armées françaises pendant la Seconde Guerre mondiale, de lieu de stockage lors de la construction du barrage de Dumbéa, avant de devenir une annexe de lycée d’enseignement professionnel (ALEP) jusqu’en 1994. Des ménagements sont réalisés durant cette période. Un escalier est notamment construit à l’arrière du bâtiment, pour des raisons de sécurité. Une galerie d’art investit ensuite les lieux, poursuivant au passage les travaux de rénovation.

Reconstruction ou rénovation ?
Lorsque la bâtisse est inscrite en 2002 à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, elle héberge finalement une activité d’hôtellerie et de restauration sous le nom d’« Auberge de la Rhumerie ». Au moment de l’incendie, l’établissement devait rouvrir ses portes en raison d’un changement de gérance. Le feu a entièrement ravagé l’étage, le grenier et la charpente. La famille Fayard souhaite reconstruire l’entrepôt à l’identique, mais s’interroge quant à son inscription. Son intérêt historique est-il, lui aussi, parti en fumée ?
« Le service du patrimoine de la province Sud recherche ce que préconisent les documents juridiques, car nous sommes confrontés à cette situation pour la première fois », indique Frédéric Daver, chargé d’études documentaires. L’entrepôt fera-t-il l’objet d’une simple reconstruction, ou d’une restauration utilisant les mêmes matériaux et les mêmes techniques ? Nul ne le sait encore. Alors, point de rhum dans l’entrepôt de Koé, mais presque un siècle et demi d’une existence déjà bien remplie… qui ne demande qu’à redémarrer.

Texte : Annabelle Noir